Le deuxième long-métrage de Mike Leigh ressort en salle et nous replonge dans les années Thatcher. À travers les yeux d’un couple charmant et de quelques spécimens de la société d’alors…
Un jeune homme blond aux chaussures orange erre dans les rues de Londres un papier à la main. Cyril et Shirley l’accueillent dans leur appartement, lui offrent un thé, lui présentent leurs plantes, qui portent toutes un nom, et notamment le très gros cactus baptisé Thatcher. Ils lui fournissent aussi des explications sur la direction à prendre pour rejoindre sa sœur, dont il possède une adresse erronée. Le couple se moque gentiment de cet hébété, qu’ils accueilleront à plusieurs reprises, comme le symbole d’un peuple désorienté en cette année 1988 de l’ère Thatcher.
Cyril et Shirley vivent depuis plus de dix ans ensemble dans un petit deux-pièces modeste ; il est barbu, coursier à moto, marxiste convaincu ; elle est coiffée en pétard, a la bonne humeur communicative, travaille dans les parcs et jardins et rêve d’avoir un enfant avec son amoureux. Mais Cyril ne veut pas de cette responsabilité dans une société qu’il réprouve.
De temps à autre, le dimanche, ils rendent visite à Mrs Bender, la mère de Cyril, veuve esseulée et quelque peu acariâtre vivant seule dans un des derniers logements mis à disposition aux ouvriers par la mairie dans un quartier en pleine gentrification. Ses voisins sont des snobinards peu généreux et sa propre fille, une pathétique arriviste, prend exemple sur eux…
Sous cette chronique drolatique dans l’air du temps se cache un pamphlet contre une époque qui voit disparaître le tissu social (en dehors des personnages mentionnés, on croise très peu de monde dans ce film), certaines valeurs (la générosité, l’entraide…) et même une classe entière. Enfants d’ouvriers, Cyril et Shirley se sont recyclés dans des petits boulots, mais ils ne sont pas eux-mêmes ouvriers. Mrs Bender perd la mémoire, et cela vaut peut-être mieux.
Si le portrait des nantis et des apprentis bourgeois est outrageusement chargé et s’avère contre-productif dans le récit, High Hopes étonne par l’écriture complexe de ces vieux trentenaires, cultivés et maniant l’ironie avec panache, accrochés à un mode de vie dépassé. Ruth Sheen et Phil Davis les incarnent avec leurs trognes uniques, leur charme indéniable et le décalage délicat de leur jeu comique. Le film est un must aussi grâce à ses trouvailles de mise en scène, dont un final touchant sur « le toit du monde » en hommage inattendu à James Cagney ; et ce moment inoubliable où Mrs Bender, filmée en très gros plan, reste impassible tandis qu’autour d’elle, en voix off, ses enfants et leurs conjoints s’invectivent et se traitent de tous les noms.
Même si High Hopes charrie déjà tous les thèmes chers au réalisateur de Naked et Secrets et Mensonges, il est à rapprocher de Another Year (2010) dernière œuvre de cette veine à ce jour avant deux films d’époque (Mr. Turner (2014) et Peterloo (2018, toujours inédit sur nos écrans). Le ton y était le même en plus apaisé et le couple principal (formé par Ruth Sheen de nouveau, et, cette fois, Jim Broadbent) avait la même bonhomie, mais trente ans de plus.