Greta

Dans la toile d’Isabelle

Si ce thriller extrême n’est pas l’œuvre la plus fine de Neil Jordan, il vaut surtout pour la présence obsédante d’Isabelle Huppert. Une personnification somme et à l’extrême de la figure chère à la filmographie de l’actrice : la souffrance névrosée.

Le cinéaste irlandais Neil Jordan s’est associé au scénariste Jay Wright, spécialiste en récits fantastico-horrifiques – Pulse de Jim Sonzero, Le Cas 39 de Christian Alvart, The Crazies de Breck Eisner –, pour son nouvel opus pour le cinéma, six ans après l’inédit en France Byzantium. Il est aussi question de contamination par l’angoisse, puis l’épouvante, grâce à une protagoniste qui dévoile progressivement ses obsessions au grand jour, et se révèle prédatrice hors pair, jouant de ses sacs à main en croco vert comme d’un hameçon parfait. Jordan n’a jamais reculé devant les effets à frissons, de La Compagnie des loups à Entretien avec un vampire. Il en use ici au sein d’une mécanique classique et poussive, du mystère à l’horreur versant grand-guignol, avec seringues fatales et coups de théâtre. Une série B cousue de fil rouge en pleine « grande pomme ». Il faut dire que son parcours mêle le meilleur (The Crying Game) au pire (À vif).

Chloë Grace Moretz et Isabelle Huppert dans Greta de Neil Jordan. Copyrights Capelight Pictures / Metropolitan FilmExport.

Une nouvelle venue dans le genre : l’internationale Isabelle Huppert. Elle a déjà tâté du thriller chez Michel Deville (Eaux profondes) ou Curtis Hanson (Faux Témoin), et de la névrose en tout genre, qui a fait sa gloire, de la jeune parricide Violette Nozière à la postière infanticide et meurtrière de La Cérémonie – merci Chabrol -, en passant par la masochiste Pianiste chez Haneke. L’actrice, à l’apogée de sa carrière et de la reconnaissance, semble s’amuser en incarnant cette figure poussée à l’extrême de sa « persona ». Greta, patronyme Hideg (= froid en hongrois), serait le métapersonnage de la comédienne, versant comico-horrifique. La vedette se délecte à pousser le bouchon de la manipulation, face à sa cadette Chloë Grace Moretz, déjà intronisée en vibrante donzelle de l’effroi (Amityville, Zombies, Carrie la vengeance).

Greta vaut surtout comme document sur la somme Huppert. À l’opposé du « non-jeu » apparent de Frankie d’Ira Sachs, autre incarnation récente où elle manie aussi la langue anglaise. Économie d’effets dans ce dernier, à l’exact opposé de la composition de la veuve hongroise new-yorkaise ici présente. Un grand écart assumé, tout comme les jeux avec le jeu qu’elle creuse avec Bob Wilson sur scène actuellement, dans Mary Said What She Said de Darryl Pinckney. Il faut voir Greta se planter une aiguille dans une plaie vive avec un gémissement savamment détaché. Isabelle s’éclate, jubile, dans sa fameuse distanciation. Un jeu d’enfant. Elle donne et se cache. La petite fille blessée cohabite avec l’adulte maîtresse de son art, au son des petits pas et sauts enfantins qu’elle esquisse autour de ses proies…