La discrète actrice Dinara Drukarova a tenu bon la barre pour mener à bien son premier long-métrage, devant et derrière la caméra. De la terre à la mer, elle livre un portrait féminin vif et émouvant.
C’est l’histoire d’une femme qui largue tout pour vivre son rêve : pêcher en pleine mer du Nord. C’est l’histoire d’une actrice, révélée adolescente, qui a quitté son pays d’origine (la Russie) pour en gagner un autre (la France). C’est l’histoire d’une comédienne, qui se lance dans la mise en scène. Avec Grand Marin, Dinara Drukarova mêle sa propre histoire à celle de l’écrivaine Catherine Poulain et de l’héroïne autobiographique du roman à succès de cette dernière, Le Grand Marin. Du réel à la fiction, les destins se font écho. Après son court-métrage Ma branche toute fine, Dinara approfondit la réalisation pour son premier long-métrage. En incarnant, encore, sa propre protagoniste, et toujours devant l’objectif de l’épatant directeur de la photographie finlandais Timo Salminen, fidèle du cinéaste Aki Kaurismäki. Mais cette fois, passage à la couleur, au format Scope, et aux pointures côté coscénaristes : Raphaëlle Desplechin, Léa Fehner et Gilles Taurand.
Dans ce film à l’ambiance rude et taiseuse, la douceur trouve pourtant sa place. Il y a une vraie bienveillance dans la vision du monde de la réalisatrice. L’audace de son héroïne va de pair avec une manière d’embrasser l’existence et le champ des possibles. Une ouverture vaste comme l’immensité des flots. De l’abolition des frontières matérielles au flirt avec le danger, la quête de liberté de Lili envahit l’écran. Les étendues sont grises, brunes, denses, mais toujours remuées par la houle, par le vent, et ravivées par les taches de couleur des bateaux, bouées, flotteurs, cirés ou bonnets. Au centre, une femme, surnommée « moineau » par son capitaine de chalutier, tout comme la mère rebaptisait sa fille « ma branche toute fine », dans le court-métrage précité. Frêle et déterminée, l’opiniâtre Lili est une émouvante créature filmique, symbole de toutes les femmes en rupture d’une vie toute tracée, pour éprouver autre chose.
L’actrice Dinara Drukarova offre toute son âme et tout son corps à ce grand bain. Son regard lucide et ses pommettes hautes tiennent bon la barre face à tous les hommes alentour. Comme la récente Chiara, seule pêcheuse au milieu du règne masculin dans La Passagère d’Héloïse Pelloquet, Lili s’impose à force de présence. Le souffle généreux et discret de Grand Marin naît aussi de son affranchissement de l’explication psychologique. On ne sait rien de la protagoniste. L’adéquation avec elle se fait au fur et à mesure de son avancée dans le récit et dans sa quête. Quand le film la quitte, elle partira peut-être pour la pêche au crabe dans la mer de Béring. Elle retrouvera ou pas son collègue amant d’une nuit. La certitude qui surnage reste la naissance d’une cinéaste, avec un projet vif et tenu, au gré des défis divers. Dans l’océan infini du cinéma, l’ex-ado vibrante de Bouge pas, meurs, ressuscite de Vitali Kanevski a bel et bien trouvé son chemin.