Xavier Beauvois remonte un siècle en arrière, en temps de guerre et à la campagne, et compose un film tableau, peinture du féminin à l’aube de son émancipation.
La guerre est une histoire d’hommes. Cent ans après la Grande guerre, l’histoire sans cesse commémorée de ses héros et de la tragédie, les soldats sont en première ligne des souvenirs, des hommages, des monuments aux morts pour la France, ils sont les grands hommes. Dans le grand récit national, ils sont les acteurs visibles et célébrés, et les femmes se tiennent à l’arrière-plan, malgré la reconnaissance de la manière dont elles ont fait vivre le pays tout au long du conflit.
La guerre a aussi été une histoire de femmes, et Xavier Beauvois s’en souvient. Dans la grande histoire, il fait entrer leur récit domestique ordinaire, privé, quotidien. Il ne les sort pas de l’oubli, mais il les ramène au premier plan, avec l’adaptation de Les Gardiennes (1925) d’Ernest Pérochon, instituteur de la République et romancier de la ruralité du début du XXe siècle. C’est du social à la Zola : Pérochon écrit la campagne française, la paysannerie, son labeur, sa pauvreté, ses mœurs, ses drames. Les Gardiennes, dans cette veine réaliste, tient à la fois d’une anthropologie locale et d’une histoire française. C’est le silence brisé de l’héroïsme sans éclat des femmes pendant la Première Guerre mondiale, mais notable et exemplaire.
Les Gardiennes n’est pas un film féministe, de revendication, de militance, mais une peinture de la condition féminine dont le mouvement de libération se dessine. Les gardiennes sont des femmes fortes, des femmes qui travaillent, qui décident, qui gagnent de l’argent. Les hommes sont à la guerre, elles font vivre la terre et elles vivent leur liberté provisoirement déliée de la tutelle masculine et de l’autorité patriarcale. A femmes fortes, actrices fortes : Nathalie Baye fait vivre la ferme, avec sa fille, Laura Smet, et le nouveau visage d’une jeune comédienne que l’on reverra, Iris Bry.
Xavier Beauvois se livre à la célébration douce des femmes laborieuses dans ce film naturaliste composé comme une succession de tableaux, narration accumulative faite d‘images – au risque d’une sensation d’inachèvement de certaines scènes dont on aurait comme suspendu le récit. Les Gardiennes fait du beau son souci formel, dans une esthétique picturale inspirée à la fois par le clair-obscur de Georges de La Tour et la peinture paysanne de Jean-François Millet.