Un minable petit gangster malade à en crever, une jeune pute déjà vieille comme le monde, une gosse avec eux, et la route, la cavale, l’Amérique des motels crades. Mélanie Laurent saisit dans la lumière du Texas l’Amérique des héros cramés.
On la connaît, cette Amérique. On l’a vue sur les photographies de William Eggleston, clichés accumulés d’une Amérique simplement banale, de supermarchés, de diners, de stations-service, de motels miteux, de routes poussiéreuses. Mélanie Laurent, retrouvant son précis directeur de la photographie Arnaud Potier, avec qui elle avait travaillé sur Respire et Plonger, reflète à son tour ce monde, étrangement comme livré à lui-même. Elle saisit, avec une familiarité exemplaire, un mimétisme esthétique assuré, le réalisme sale de cet indifférent quotidien américain, le noir du Sud profond comme feuille de route paysagère.
Il y a du Eggleston dans les images de Galveston, première production en anglais de Mélanie Laurent, appelée sur l’adaptation du premier roman de Nic Pizzolatto. Après le succès de sa première saison de True Detective, la série de HBO, Hollywood, monde commercial, avait jeté son dévolu sur son thriller publié en 2010. Entre-temps, la saison 2 de True Detective décevant, le projet a connu les affres d’un développement incertain. L’adaptation de Galveston a été reléguée au second plan, jusqu’à ce que le projet remonte à la surface, arrive jusqu’à Mélanie Laurent, qui a hérité d’un petit budget de film indé.
C’est loin, Galveston. C’est une île de bout du monde et même de fin du monde, une langue de terre au sable blanc scintillant, posée sur le golfe du Mexique, à une heure de Houston. Un sud Texas aride, sec, dur comme la vie. Il n’y a plus rien après Galveston, la ville côtière qui tombe dans la mer d’un bleu limpide, comme il n’y a plus rien dans la vie de Roy et Rocky, échoués sur cette terre bornée. Roy crache du sang, Roy a la maladie de la mort. Il boit beaucoup, de whisky, il fume trop, ces fucking Marlboro qui tuent ses poumons. Roy est un gangster en voie de disparition. Son dernier coup a mal tourné, c’était un guet-apens, il y a eu mort d’homme, mais pas lui. Il a sauvé sa peau, pour l’instant.
Roy est en sursis et Roy est un survivant. Il est en cavale dans Galveston, road-movie fuguant loin de la Nouvelle-Orléans, années 1980. Rocky, c’est la jeune pute qu’il a sauvée. Elle était attachée sur une chaise, et elle portait une robe rouge sang. Elle a 19 ans et déjà tant vécu. Rocky n’a même plus d’âge, elle est déjà vieille comme le monde. Elle en connaît toute la misère, la violence, la tragédie. Rocky, dans leur fuite vers un motel crade de Galveston, fait halte pour récupérer sa petite sœur dans la cabane d’un beau-père violent. La dure vie commence dans l’enfance, au Texas.
Roy est un homme en colère, violent. Roy est un sale type. Rocky est une fille perdue, dure au mal. Rocky est une combattante. Qu’on ne les rêve pas, ces deux-là, en Bonnie and Clyde foudroyés : ils ne sont que des paumés sur la route, deux corps altérés par une vie cramée. Ils sont seuls au monde et dans leur monde, il n’y a plus de place pour des sentiments. Leur histoire d’amour n’a aucune chance d’advenir. Mais la rédemption, peut-être…
Le road-movie, entre paysages d’Amérique et scènes ultraviolentes, intéresse moins par son intrigue lisible de thriller de vengeance, avec sa fin aux explications appuyées, que par son voyage dans le noir de l’Amérique. Alors non, Mélanie Laurent ne signe pas un chef-d’œuvre, mais son petit film embarque avec Ben Foster et Elle Fanning, duo puissant, couple maudit un peu archétypal, mais pas loin de nous faire chialer, à jouer avec force la tragédie intime de héros maudits, sauvages, irrécupérables.