Gagarine

Puissance de l’imaginaire

À mille lieues de l’archétype du film de banlieue, Gagarine, premier long-métrage de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, ancre son récit dans un cadre documentaire et y fait naître une fiction vibrante, qui clame puissamment sa foi dans les pouvoirs de l’imaginaire pour contrer l’effondrement.

Gagarine fait un bien fou. En ces temps menacés par le désenchantement, voilà un film qui donne à voir et à entendre un chant d’espérance ample et sincère. Son scénario comme sa mise en scène semblent nous dire droit dans les yeux qu’il est urgent de réenchanter les imaginaires et son personnage central, Youri, se fait l’incarnation de cette utopie désirable. Ce jeune homme, délaissé par une mère inconséquente, a grandi dans la cité Gagarine, vaste bloc de briques rouges bâti au début des années 1960 à Ivry-sur-Seine, en région parisienne, et inauguré par Youri Gagarine himself en juin 1963. Très attaché à ce lieu, le jeune résident y a construit un « vaisseau spatial » secret, où il nourrit ses rêves de devenir lui-même cosmonaute. Mais un beau jour, les hautes instances décrètent que cette cité devenue vétuste doit être démolie. Youri et ses amis – une jeune Rom très dégourdie (formidable Lyna Khoudri) et deux attachants garçons (Jamil McCraven et Finnegan Oldfield) -, entament, dès lors, une fervente bataille pour empêcher la destruction de leur royaume et, avec elle, celle des souvenirs de ses habitants. 

Pilier de cette histoire, ce jeune héros au prénom d’aventurier est comme un trait d’union entre un monde confronté à une réalité drue et le cosmos tout entier, qu’il rêve de sillonner. Il est incarné par un acteur, Alséni Bathily, découvert lors d’un casting dont il a vu l’annonce dans son lycée. C’est là son premier rôle et c’est peu dire que sa sensibilité et la grâce de sa présence sidérante apportent au film l’essentiel de sa haute vibration.

Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh. Droits photos : copyright Haut et Court.

À travers son regard doux, un autre monde que celui du quotidien chahuté se déploie. Youri voit haut, regarde loin, scrute les étoiles, imagine des mondes et construit un ingénieux laboratoire à base de matériel de récupération, où s’exprime sa passion de l’espace. À la manière du Petit Prince de Saint-Exupéry, il se fait le traducteur de cette réalité éloignée, que peu sont capables d’appréhender. À sa manière, Youri est un authentique poète, et la mise en scène du film lui emboîte le pas. Inventive, parfois un brin affectée, l’esthétique visuelle et sonore offre une alternative à la menace d’effondrement qui plane non seulement sur la cité (qui sera bel et bien détruite le 31 août 2019, sous le regard de ses habitants), mais sur le monde tout entier aujourd’hui même. C’est toute la force de Gagarine, qui, en bâtissant une passerelle entre le monde terrestre et les sphères célestes, entre le réel et l’imaginaire, nous exhorte à croire en notre propre pouvoir intérieur. On en ressort l’âme réjouie et le cœur battant.