Présenté lors de l’édition 2018 de la Semaine de la Critique à Cannes, Fugue est une histoire d’amnésie qui se prête naturellement au mélange des genres, entre récit clinique et thriller onirique. Un exercice d’équilibriste au spectacle froid.
Sur un sujet qui s’apparente davantage à un topos qu’à une pensée nouvelle, l’amnésie, la réalisatrice Agnieszka Smoczyńska sait compter sur l’interprétation fiévreuse de Gabriela Muskala pour maintenir l’intérêt du spectateur.
L’actrice, également scénariste du projet, est la révélation du film. Les cheveux coupés, les habits sales et négligés, elle est Alicja, une Polonaise souffrant de fugue dissociative. Ce trouble psychiatrique mêle amnésie et changement de personnalité, une aubaine pour tout acteur appelé par son métier à interpréter les visages successifs d’un personnage donné. L’occasion pour Gabriela Muskala de jouer des situations sidérantes avec le plus grand naturel : uriner sur un quai de métro fréquenté, ingurgiter de la terre…
En dehors de scènes quelque peu grotesques visant à souligner le décalage d’Alicja vis-à-vis de la société et de ses proches, Fugue baigne dans une ambiance flottante. Il y a les silences de l’absence, de l’incompréhension et de l’espoir. Comme dans le drame israélien Longing de Savi Gabizon (2018), les personnages sont en quête d’une unité familiale impossible à retrouver. Alicja dit-elle tout de son passé oublié ? Sous le bruit du vent et des gazouillements d’oiseaux, la dernière séquence donne à l’épilogue un ton résolument optimiste : après son enfermement intérieur, place à la véritable liberté.
Tel un funambule, le scénario oscille entre des passages glaciaux à l’effet parfois emprunté et des moments de tendresse désespérée. Dans cet entre-deux se situe précisément la meilleure scène du film, lorsque Alicja recherche, sur la plage, son fils dont elle ne connaît même plus l’âge. Reste à fermer les yeux sur notre propre inconfort à arpenter ce territoire cinématographique noueux et impermanent.