Frost

Enfer et paradis

À la portée de tous, Frost de Sharunas Bartas porte un regard sombre sur l’innocence de la jeunesse et son engagement dans le chaos guerrier du monde. Cette vision d’une beauté fracassante sur l’enfer offre un caméo à Vanessa Paradis.

Frost signifie « gel » (le froid) en anglais ou en allemand. C’est le titre du nouveau film du Lituanien Sharunas Bartas, après le magnétique mais non moins hermétique Peace to Us in Our Dreams (2015) qui aura percé d’un éclair fulgurant la programmation de la dernière Quinzaine des Réalisateurs du dernier Festival de Cannes. Et pourtant, la noirceur et la misère de la guerre et des hommes qui se battent pour la liberté en Ukraine sont au cœur du voyage initiatique de Rokas et sa copine Inga (les doux Mantas Janciauskas et Lyja Maknaviciute), deux brebis égarées au volant d’une fourgonnette humanitaire improvisée. Ces deux âmes sont happées par le destin, et Bartas a décidé de les suivre dans un road-movie parsemé de rencontres de plus en plus ténébreuses. Le cinéaste déploie un regard très tendre sur cette jeunesse naïve qui s’interroge peu sur le sens de son engagement, conséquence d’un simple « ok » adressé à un inconnu au détour d’une moue fragile sur un trottoir, qui l’incite subitement à foncer, pied au plancher, dans la gueule du loup.

Si le contexte du film est politique, responsable, lucide, c’est sa poétique belle et écorchée qui l’élance. Des plans subtils, délicats, esthètes, comme toujours magnifiquement cadrés chez Bartas, emportent le spectateur dans un état de contemplation et de réflexion bouillonnant. Chantre d’un cinéma rare, généralement difficile d’accès, où le temps est une prérogative essentielle (comme chez Tarkovski, par exemple) agrégeant parfois l’observation à l’ennui (mais pas davantage que dans la vie),  le cinéaste se met ici plus que jamais à la portée de tous, comme s’il voulait à présent servir le grand public. Et le quidam qui sera attiré au gré de son CinéPass illimité par les prévisibles trépidations médiatiques qui auront relevé la présence (assez brève) de Vanessa Paradis dans le film (elle y est excellente) se sentira parfaitement accueilli et ne claquera pas son fauteuil : au contraire, tenu en haleine par une compassion grandissante pour les personnages qui sont trimballés et chahutés – ce sont de vraies leçons de vie qu’encaissent Rokas et Inga -, le spectateur se laisse définitivement emporter par le mouvement ascensionnel de ses palpitations et par la fin du film, inouïe et inoubliable.