Célébré comme documentaire et comme film d’animation, ce long-métrage danois est un réjouissant objet hybride. Une découverte emballante sur un parcours humain bouleversant.
Labellisé Festival de Cannes 2020, Grand Prix à Sundance et à Annecy, récompensé par deux European Film Awards, et nommé à trois Oscars en 2022 – une première : film étranger, film d’animation et film documentaire -, Flee cumule d’innombrables honneurs internationaux. Un sacré parcours pour le premier long-métrage à sortir en salle signé Jonas Poher Rasmussen. C’est une œuvre née d’une amitié de plus de vingt ans, entre ce dernier et le héros renommé Amin, dont le premier a voulu enregistrer et partager le récit de vie. C’est un documentaire d’animation, alors que le cinéaste n’était pas familier de cette technique. La réalité du protagoniste a dicté la forme, car celui-ci ne voulait pas apparaître directement à l’image, ni nommer certains personnages. Habitué des témoignages radiophoniques, le réalisateur a appliqué le principe de l’enregistrement sonore à une recréation par le dessin, le tout supervisé par un directeur de l’animation (Kenneth Ladekjaer) et par un directeur artistique (Jess Nicholls).
L’harmonie du résultat ravit, tant par la portée humaine de ce périple existentiel que par l’accomplissement esthétique, au graphisme moderne et atemporel à la fois. L’équilibre entre les traits précis, les teintes subtiles et les jeux d’ombres et de lumières fonctionne au poil. La confession à la première personne d’Amin, réfugié parti d’Afghanistan en famille et en pleine jeunesse, passé par Moscou, et atterri au Danemark, est bouleversante. Elle se double d’une méticuleuse reconstitution à l’image, au son et au montage. L’incursion d’archives en prises de vues réelles documente l’intrigue et précise le contexte de la trajectoire épique d’Amin, crédité comme coscénariste du film. Tout prend sa source en lui. Ce gamin afghan, dont le père a disparu à l’arrivée des Talibans, a dû avaler de nombreuses couleuvres tout en vivant l’exil, et a dû museler son homosexualité avant de pouvoir s’autoriser à la vivre. Par les mots, le protagoniste reconnecte son présent avec son passé. Pour la première fois aussi, il se raconte.
Cette reconquête de soi touche à l’universel, et l’animation n’est en rien un frein à l’empathie. Elle a séduit les comédiens vedettes Riz Ahmed (Sound of Metal) et Nikolaj Coster-Waldau (Game of Thrones), qui ont décidé de soutenir le film et ses producteurs. Œuvre cousine de Parvana, une enfance en Afghanistan de Nora Twomey et de Persepolis de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud, et plus encore de Valse avec Bashir d’Ari Folman, à laquelle Rasmussen se réfère volontiers, Flee dégage sa force de son authenticité, dénuée de complaisance. Amin ne se considère ni comme un héros ni comme une victime, et balade aujourd’hui son bâton de pèlerin en tant que conférencier. Le cinéaste célèbre un chemin unique avec un regard bienveillant. De cette riche collaboration émerge un puzzle passionnant sur le chemin d’un homme, rythmé par des titres pops et sans frontières. Amin est un roseau résilient, qui peut aujourd’hui arrêter le cycle redondant de la fuite.