Sorti en salle il y a vingt-cinq ans, le huitième long-métrage de David Lynch est de nouveau projeté au cinéma. Un road-movie dont le caractère atypique nous ravit.
Une histoire vraie débute par une chute. Dans un quartier résidentiel tranquille, aux jardins joliment entretenus et où tout le monde se connaît, un corps tombe. Sorti treize ans auparavant, en 1987, Blue Velvet s’ouvre également sur l’écroulement d’un homme. Mais la ressemblance s’arrête là : Une histoire vraie nous fait entendre l’effondrement sans le montrer, quand Blue Velvet l’expose et s’intéresse à ce qui, sous le sol où gît le corps, grouille.
En arrêtant son pano-travelling avant de traverser le mur de la maison, le cinéaste nous empêche d’identifier la victime derrière celui-ci. Reconnu pour ses œuvres énigmatiques (Eraserhead, Inland Empire), David Lynch cultive de nouveau le mystère. Un bref instant, du moins. Les scènes suivantes nous révéleront l’essentiel sur l’homme en question. Il s’appelle Alvin Straight. « Straight », comme dans le titre original du film, The Straight Story. Présage d’une histoire où la clarté et la franchise priment, où le personnage introverti et un peu « ours », parcourt, droit et vaillant, des centaines de kilomètres jusqu’au Wisconsin. Capitaine de son destin, Alvin ressent la nécessité d’aller se réconcilier avec son frère.
Non autorisé à conduire une voiture à cause de sa santé, le septuagénaire manœuvre une tondeuse verte de la marque John Deere. À son véhicule de fortune, il ajoute une remorque. Chapeau de cow-boy vissé sur la tête, chemise rouge et jeans, le voilà qui monte et descend les collines des États américains à vitesse d’escargot. Dépassé par des cyclistes amusés, stoppé par les conditions climatiques ou des pannes, Alvin conserve sa détermination.
Au gré de ses fortuites rencontres, il se dévoile peu à peu. Ses yeux bleus, souvent brillants, quelquefois humides, reflètent de plus en plus ses affres intérieures. Ses traumatismes de guerre, son passé d’alcoolique. En interprétant un Alvin Straight d’abord bourru, puis émotif, Richard Farnsworth incarne enfin un rôle à la hauteur de son talent. Trop souvent troisième couteau dans des westerns, nommé à l’Oscar du meilleur second rôle pour Le Souffle de la tempête (Alan J. Pakula, 1978) et du meilleur premier pour Une histoire vraie, Richard Farnsworth joue dans l’œuvre de David Lynch son ultime personnage. Il mourra en 2000, un an après la sortie de ce road-movie.
Une histoire vraie est une histoire diurne et nocturne. À l’écran, les météos diffèrent et défilent. Pourtant, une atmosphère apaisante s’en dégage. Grâce au travail du directeur de la photographie Freddie Francis, une nuit noire devient accueillante et les couleurs de l’aube et du crépuscule adoucissent l’âpreté de la traversée. La route filmée n’est pas celle de Lost Highway ou de Mulholland Drive. Elle n’inquiète jamais. Elle est poétique et abstraite : nous ne connaissons pas plus le nombre de kilomètres parcourus que les noms des villes traversées. Et Angelo Badalamenti, le fidèle compositeur de David Lynch, accompagne le voyage de morceaux singuliers mêlant violon et harmonica. S’il n’est pas celui des paysages spectaculaires de cartes postales américaines et des road trips mythiques (Pacific Coast Highway, la route 66…), cet itinéraire a la délicatesse de convoquer la nature dans sa manifestation la plus simple.
Hélène Robert