C’était la semaine dernière. L’équipe de La Reine des neiges 2 était de passage à Paris. Sur la scène du Grand Rex, Jennifer Lee, la coréalisatrice du film, avec Chris Buck, a pris la parole. Dans son discours, le terme « valeurs » fut martelé – « Anna et Elsa se servent de leurs valeurs pour être elles-mêmes. Elles sont courageuses ». Ce nouvel opus fonde ainsi son propos sur le caractère valeureux de ses deux héroïnes, qui s’inscrivent ainsi dans la mouvance girl power actuelle.
C’est que l’énergie de ces deux sœurs est fort communicative. Cette fois, aucun thème musical n’emporte le morceau sur le récit. La ritournelle « Libérée, délivrée » qui a fait le tour du globe depuis la sortie du premier volet n’a pas son équivalent dans le deuxième. Si chaque personnage a bien son moment de bravoure chanté, les mélodies n’ont pas la force de celles composées par Alan Menken dans d’autres films Disney, par exemple. Ce qu’on retient de cette aventure-là réfère davantage à son caractère engagé et engageant : Elsa, par son cerveau supraconscient, et Anna, par sa vivacité et sa détermination, vont affronter plusieurs obstacles dignes des grands récits d’aventures. Le tout avec force et dextérité ; c’est la grande qualité de ce film haletant qui fait rire aussi, grâce à l’un ou l’autre personnage adorable, comme l’incontournable Olaf, auquel Dany Boon prête sa voix dans la version française.
Olaf, parlons-en. Ce bonhomme de neige menacé par la désintégration dans cet épisode est certes pensé pour maintenir son statut de mascotte auprès du jeune public, mais il se fait ici aussi le passeur d’idées métaphysiques d’envergure. « Comment gérez-vous les pensées plus complexes qui surgissent avec la maturité ? », demande-t-il à des enfants qui l’entourent. Cette courte séquence est hilarante. Et ce film, l’air de rien, distille plusieurs notions fondamentales, comme le fait que l’eau aurait une mémoire (idée, scientifiquement discutée, que l’on retrouve dans Le Bouton de nacre de Patricio Guzmán, par exemple). C’est même l’idée centrale du film et son pivot narratif (pour en savoir plus, voici l’ouvrage en ligne L’Âme des molécules de Francis Beauvais, qui revient sur la question polémique de la mémoire de l’eau).
Autre idée fondamentale : la peur. « C’est de nos peurs qu’il faut se méfier », est-il énoncé à bon escient. Car, en bravant la peur et son poison sclérosant, et tout en restant vigilantes, Anna et Elsa vont parvenir à inverser la vapeur « collapsologique ». Voilà qui réchauffera le cœur des spectateurs conscients que notre planète est sérieusement en danger…
La Reine des neiges 2 avance ainsi sur un fond de noirceur (la mélancolie n’est jamais très loin), mais le cœur battant, et avec une fougue communicative qui devrait donner des ailes au jeune public. À cet égard, la séquence où Elsa chevauche un cheval spectral est d’une beauté sidérante et d’une grande force métaphysique (elle évoque un monde menacé par la disparition, qui parvient à retrouver vie, incarnation et mouvement…).
Toutefois, comme l’a signifié Dany Boon lors de la conférence de presse consacrée au film, jeudi 14 novembre à Paris : « Ce film, c’est du réel sublimé ». La performance digitale de Disney est si réussie que la tentation du spectateur d’abandonner le réel pour se réfugier dans de pareilles épopées animées sur écran risque de devenir de plus en plus grande. Le petit paradoxe que promène ce film avec lui est qu’il exhorte son public jeune et moins jeune à se reconnecter à la nature, aux éléments et à la sensorialité – c’est une idée fondamentale et il est réjouissant que Disney et sa force de frappe mondiale s’en empare. Très bien. Mais les films Disney, comme n’importe quel autre produit séduisant à consommer sur grand ou petit écran, doivent l’être avec modération. Et idéalement accompagnés d’une discussion entre adultes et enfants pour permettre une distanciation, sans tuer la féerie pour autant.