Andreï Zviaguintsev envisage sublimement et douloureusement une Russie intime dévastée. Faute d’amour, que reste-t-il sinon la haine, l’effroi et le vide de la mort ?
Derrière une porte, dans la pénombre, un enfant pleure en silence, que personne ne voit. Un enfant pleure, seul et délaissé, et sa solitude désespérée annonce, mauvais augure crève-cœur, un déchirement inéluctable. Ce n’est pas seulement un drame qui s’annonce vite, aux premières scènes du nouveau Zviaguintsev : une terrible tragédie est à venir, qui n’épargnera personne, pas plus les spectateurs que les protagonistes de ce récit d’une insondable tristesse.
C’est l’automne quand commence Faute d’amour : ce sera vite l’hiver, une froidure terrible, un sentiment glacé d’effroi qui ne quittera jamais ce film pétrifié, dévasté et désolé comme cette banlieue de Moscou sans âme et sans qualités qui lui sert de décor social, miroir d’une société russe qui loge ses nouvelles illusions modernes, sans avoir conscience d’aller inexorablement à sa perte.
Toute possibilité d’amour et de compassion est défaite, échec inéluctable d’une société qui ne se comprend plus et s’éveille face à sa monstruosité dégueulasse. Zviaguintsev pourtant n’est pas un cinéaste du sarcasme ni de l’ironie. Pour le dire, il mène un scénario fin comme une lame, stylisé par une image simple et dépouillée. Son cadre est tracé au scalpel, dans lequel entre une photographie sobre, presque austère. La violence de Faute d’amour cogne sourdement, du dedans, sans démonstration excessive.
Faute d’amour, un enfant disparaît. Aliocha a 12 ans. Aucun de ses parents au bord du divorce, ayant déjà vite refait sa vie et s’y consacrant tout entier, ne voulait plus de lui. Aucun n’avait plus aucune affection à lui donner : le jeune garçon part à l’école un matin et n’en reviendra plus. Il reste introuvable. Est-il vivant ? Est-il mort ? Ses parents occupés à leur nouveau bonheur seront confrontés au mystère irrésolu de sa disparition et à leur propre malheur. Soudain, ils apparaissent vulgaires et minables dans la tragédie qui les réduit cruellement à leur petitesse, montre en grand leur égotisme, révèle la pitoyable vacuité de leurs désirs. Aucun des personnages n’est aimable, pas même ceux qui pourraient être des héros, les flics ou cette sorte de milice privée, une association spécialisée dans la recherche d’enfants disparus, et qui se déploie comme si elle menait une guerre contre l’autre.
De la Russie poutinienne, le réalisateur d’Elena et du Léviathan n’aura jamais donné des nouvelles aussi sombres, aussi noires, de son anéantissement moral et de ses gouffres. Il remonte une monstruosité insupportable que chacun comprend et peut faire sienne. Il en découle aussi une forme de morale, qui ne vaut pas seulement pour cette Russie qui serait moins vertueuse. La leçon de ce cinéma effondré vient jusqu’à nous, tirer sur notre conscience : faute d’amour, l’enfant sera l’ultime sacrifice. Ce sacrifice est insupportable.