Le dernier chef-d’œuvre de Werner Herzog est un petit film. C’est en tout cas ainsi qu’il fut présenté par Thierry Frémaux, lors de la conférence de presse annonçant la sélection de Family Romance LLC en séance spéciale.
En effet, le film est pauvre, au sens qu’il n’a presque rien coûté, tourné en famille, de manière artisanale, dépourvu de distributeur français et donc de sortie en salle. Et pourtant, Family Romance LLC est l’un des grands films de ce cru cannois. Le cinéaste allemand est connu aussi bien comme documentariste que comme auteur de fiction, et à bien des égards, cette fiction a des airs de documentaire.
L’action se déroule au Japon, de nos jours, et décrit l’activité d’une entreprise, Family Romance, spécialisée dans la location de « proches ». Un père absent, un besoin d’affection, de soutien ? Amis ou famille, Family Romance comble les vides. Ainsi, le film poursuit plusieurs petites histoires, comme autant de clients de l’entreprise, décrivant entre les lignes un Japon aussi moderne que déshumanisé, où les individus se retrouvent de plus en plus seuls et isolés. Un monde où l’artifice se substitue à une réalité bancale, filmée au plus proche du réel.
À l’inverse de la situation qu’il décrit, la mise en scène d’Herzog est dépourvue de tout artifice, comme filmée dans l’urgence, sans éclairage ou recherche esthétique. Par son aspect ultraréaliste, cette mise en scène rend la fiction encore plus dérangeante, mais aussi encore plus bouleversante. Comme lorsque un employé de Family Romance se met à genoux pour s’excuser d’une faute grave en nom et place d’un client. Ou encore lorsque les yeux d’une veille dame, qui avait gagné, il y a bien longtemps, 20 millions de yens au loto, et qui, depuis, vit chaque jour dans l’attente de revivre l’instant où elle se découvre gagnante, se remplissent de larmes. Elle a payé Family Romance pour lui faire croire à une victoire. Et la voilà, émue aux larmes, toute fragile, lorsqu’on lui annonce qu’à nouveau, elle est la grande gagnante de la loterie. Tout est faux, bien sûr, et pourtant son bonheur, pathétique, est authentique. Et l’air de rien, Werner Herzog dresse avec beaucoup de finesse et d’amour, le portrait d’un pays qui va mal.