Tandis que l’Espagne s’écharpe avec les revendications d’indépendance de la Catalogne, Eugène Green s’invite indirectement aux débats : Faire la parole est un documentaire sur le Pays basque, sa langue, son identité et sa jeunesse.
L’auteur a déjà consacré trois romans qui traitent de la culture basque, si proche de la nature qu’elle paraît plus qu’une autre en être le produit. Eugène Green l’aborde ainsi dans ce film, comme à son image, d’un geste simple. En exergue sonore, le cinéaste place la voix du poète et écrivain basque émérite, Joseba Sarrionandia. Son récit donne la pleine mesure de la résistance nécessaire d’un ancien dans son combat jusqu’à la clandestinité pour faire subsister sa langue maternelle, qualifiée « de ploucs ». Puis, le cinéaste interroge : c’est quoi, être basque aujourd’hui à vingt ans ? Les témoignages défilent, spontanés, désarmants : Nora, journaliste, fait le récit du saccage organisé de sa rédaction, accusée – soi-disant par erreur – d’être à la solde de l’ETA. Thierry, musicien, raconte comment il s’est réapproprié la langue de ses grands-parents pour pouvoir converser avec eux, et puis comment il s’est mis de fil en aiguille à la chanter… La tristesse, la rage et l’espérance de ces jeunes se mélangent et le spectateur apprivoise progressivement leurs visages comme ceux de personnages de fiction. Eugène Green les filme dans leur quotidien, aménage des rencontres et des concertations. Un portrait de la jeunesse basque affleure, sensible et concret. L’auteur les suit notamment dans l’accomplissement d’un projet musical qui concentre l’ensemble de ses ambitions et comble ses goûts esthétiques, car Eugène Green est un apôtre de l’art baroque, un humaniste mélomane jusqu’au bout des ongles. Au final, la parole qu’il a produite ainsi sous nos yeux donne la certitude qu’il existe un modèle très fort, vivifiant et apaisé, dont pourrait s’inspirer cette vieille Europe en crise qui cherche encore ses lunettes alors qu’elles sont sur le bout de son nez.