Un gamin triste et un yakuza mélancolique s’en vont main dans la main et font un grand voyage. Un voyage en enfance, simple, naïf, facétieux. L’Été de Kikujiro est un conte heureux.
Voilà l’été, les vacances, l’ennui. Les familles quittent Tokyo, mais le petit Masao (Yusuke Sekiguchi), élevé par sa grand-mère, n’a pas ses parents pour prendre part au grand départ. Masao reste seul, désœuvré, perdu. Il baisse la tête et se tait : l’inexprimable secret de la tristesse de l’enfant délaissé.
Il n’y aura pas de vacances en famille, mais quelque chose d’encore plus grand : un voyage extraordinaire avec un yakuza pacifique, tout à la fois ange, clown, père temporaire. Le petit Masao va partir quand même avec Kikujiro, le yakuza taiseux joué par Takeshi Kitano, acteur-réalisateur au visage impassible, aussi indéfinissable qu’impénétrable. Où vont-ils ? À la recherche de la mère de l’enfant.
Ils partent à pied et le voyage sera long et fabuleux. Ils iront de rencontre en rencontre, et avec Takeshi Kitano en amuseur burlesque tragi-comique, de gag en gag. Comme autant de sketches, il démultiplie les entrées : Takeshi « Kikujiro » Kitano est tour à tour yakuza, parieur, voleur, menteur, indien, noyé, aveugle, farceur…
Kikujiro est un ange hilarant, et Kikujiro, le temps de ce road-trip estival, change la vie de l’enfant triste. C’est dire son pouvoir de consolation, sa magie bienfaitrice, la force extraordinaire de son enchantement. Kikujiro donne à Masao une clochette : « Tu fais sonner la clochette, et un ange vient t’aider ». L’ange, c’est bien lui.
Il y a presque toujours des petits orphelins avec leurs chagrins dans les contes. Souvent, les malheureux affrontent des épreuves et vivent des aventures qui les aident à grandir et qui changent leur vie. L’Été de Kikujiro raconte ce genre d’histoire et de voyage initiatique. L’initiatique entretient une affinité étroite avec le merveilleux. Le voyage de l’enfant et de son ange gardien yakuza (le plus enfantin des deux, d’ailleurs) est peuplé d’apparitions improbables : un danseur-robot, un poète, des bikers qui transfigurent le monde. Entre la poésie et le rêve.
Vagabondage joyeux, à la photographie colorée, L’Été de Kikujiro nous rend heureux pour ça : ses transports, ses songes, sa folie, sa grâce, sa douceur à mille lieues de l’autre versant connu de Kitano, comique télévisuel cruel venu au cinéma avec Violent Cop (1989), dont la filmographie s’est déchaînée avec des histoires de yakuzas et de morts violentes.
« J’aimerais préserver indéfiniment ma sensibilité d’enfant », dit Kitano dans Citizen Kitano, du documentariste Yves Montmayeur. Avec Kikujiro, le cinéaste accomplit un retour à l’enfance, se contentant de presque rien et obtenant tout avec de l’imagination. Kitano est chez lui dans l’enfance, et l’enfance est son monde. Pour l’actrice fétiche de Kitano, son amie Kayoko Kishimoto, qui joue sa femme dans L’Été de Kikujiro, Kitano n’a jamais cessé d’être l’enfant d’avant les désillusions de l’âge adulte: « Il est resté ce gamin fripouille des quartiers populaires de Tokyo. Il fait l’imbécile comme un gamin ».