Un rapport étroit au temps
Cinq patients se rendent chaque semaine dans le cabinet d’un psychanalyste parisien, au lendemain des attentats de 2015. À travers leur parole déployée, En thérapie fait à la fois la lumière sur une pratique codifiée et dessine en creux le portrait de notre société fissurée.
En thérapie s’inspire de la série israélienne BeTipul, créée par Hagai Levi, Nir Bergman et Ori Sivan en 2005, et adaptée depuis dans dix-sept pays – le remake américain date de 2008 : c’était In Treatment, avec Gabriel Byrne dans le rôle du thérapeute. Dans toutes les versions, le principe reste le même : associer un personnage à un jour de la semaine. Ainsi, Ariane (Mélanie Thierry), Adel (Reda Kateb), Camille (Céleste Brunnquell), et le couple formé par Leonora (Clémence Poésy) et Damien (Pio Marmaï) défilent-ils à tour de rôle, à jour et heure fixes, dans le cabinet du docteur Philippe Dayan (Frédéric Pierrot) – qui se rend à son tour chez sa superviseuse (Carole Bouquet) chaque vendredi -, près de la place de la République à Paris. À la manière d’une ronde ininterrompue, les trente-cinq épisodes (de vingt-six minutes chacun) embarquent le spectateur dans la cadence du temps long, qui est le propre de la psychanalyse. L’exercice, fondé sur la libre association d’idées pratiquée sur le long cours, a pour objectif de rendre sa musique propre à l’analysant. En l’orientant, en repérant des éléments de langage et motifs récurrents, le psychanalyste l’amène à porter à sa conscience ce qui, jusqu’alors, était cantonné à sa sphère inconsciente. À ce sujet, on est étonné de constater que le docteur Dayan, psychiatre et psychanalyste, livre régulièrement des blocs d’interprétations clés en main à ses patients, ce qui a pour effet de rompre le mouvement de la parole propre à la psychanalyse – et relève davantage de la psychothérapie. Mais, sans doute, est-ce pour densifier le scénario et rendre plus compréhensibles les problématiques des personnages.
Un monde qui se fissure
La belle idée de cette adaptation orchestrée par Olivier Nakache et Éric Toledano est d’inscrire son action au lendemain des attentats du Bataclan. Patients et thérapeute, comme la société française dans son ensemble, sont sous le choc de ces événements sanglants. À mesure que se déplient les traumatismes, blocages et névroses de chacun, un jeu de miroirs opère. La douleur des patients vient faire émerger celle du médecin. Dayan se trouve à un carrefour de son existence et se retrouve assailli par ses propres démons au point d’aller consulter à son tour. Personne dans cette histoire n’échappe à la souffrance et aux questionnements existentiels. En ce sens, En thérapie fait plus que répondre au fantasme nous autorisant à jouer les petites souris dans un cabinet de psychanalyste, et vient sonder les failles d’une nation tout entière.
De ce point de vue, le choix des personnages et de leurs histoires est intelligemment pensé. En particulier celui d’Adel, membre de la BRI, hypersensible qui s’ignore et qui ne se remet pas de son intervention au Bataclan le soir des attentats – Reda Kateb l’interprète en le dotant d’une grande puissance de frappe et crève souvent le petit écran. Ce personnage est peut-être le plus lucide de l’ensemble quant à la crise de civilisation que traversent l’Occident en général et la France en particulier. C’est aussi l’un des protagonistes les plus véhéments de cette série sous-tendue par une lourde charge de violence.
À mesure que les épisodes avancent, la violence des échanges s’accentue. Il est vivement conseillé de se créer des moments de respiration entre deux ou trois épisodes… Malgré la clarté de sa lumière, En thérapie est teintée d’une grande noirceur, qui va crescendo. Et les accès de colère répétés de tous les personnages sont parfois rudes à supporter.
Éloge de l’attention
C’est qu’on ne sort guère du cabinet du docteur Dayan, et les rares séquences qui se tiennent hors de ces murs s’avèrent plutôt éprouvantes… C’est aussi ce qui fait la force de ce dispositif en huis clos, induisant l’usage du champ-contrechamp, et qui fait la part belle aux comédiens, tous épatants d’intensité et de justesse – en particulier Mélanie Thierry, qui fait preuve de mille nuances dans son jeu, et la remarquable Céleste Brunnquell, dont le phrasé musical si singulier a quelque chose de fascinant.
Quant à Frédéric Pierrot dans le rôle du thérapeute, il apporte sa chaleureuse présence, sa voix timbrée et son sens aigu de l’écoute, qui donne l’essentiel de son assise à cette série, dirigée tour à tour par Éric Toledano et Olivier Nakache, Mathieu Vadepied, Pierre Salvadori et Nicolas Pariser.
Outre le cadre codifié dans lequel elle s’inscrit, En thérapie fait en filigrane l’éloge de l’attention. En multipliant les plans sur le visage du thérapeute, elle nous imprègne fortement la rétine de son regard intense et focalisé. C’est lui que l’on conserve en mémoire, longtemps après avoir achevé le trente-cinquième épisode : le regard d’un homme profondément humaniste et empathique. Humain. Trop humain, en l’occurrence.