Dix ans après Nous, princesses de Clèves, le documentariste Régis Sauder retrouve une partie de ses protagonistes. Ils et elles ont grandi, déchanté, mais ont avancé. Et les regarder fait un bien fou.
« Reconnaître que l’autre existe, c’est la base… » Pourtant, les parcours de Cadiatou, Armelle, Laura, Sarah, Abou, Virginie ou Albert n’ont cessé de se cogner à cette réalité. Le vivre ensemble est une belle idée, mais tout le monde ne la met pas en pratique. Dix ans après Nous, princesses de Clèves, encouragé par certaines élèves qu’il continuait à voir de loin en loin, Régis Sauder a décidé de retrouver la trace de celles et ceux qu’il avait filmés dans ce lycée des quartiers nord de Marseille. Là où il scrutait des visages, le documentariste suit maintenant des corps en mouvement, de jeunes adultes qui travaillent, conduisent, récupèrent leur progéniture, vont au musée, ou retrouvent leur mère dans leur quartier d’enfance.
Le point d’ancrage reste la prof de français, Emmanuelle, qui enseigne toujours à Denis Diderot, exprime en voix off ses doutes (« Moi aussi, je suis démunie… »), alors que l’école de la République a de moins en moins de moyens, que la pandémie ferme les classes et pose des masques sur les visages des élèves, et que le professeur Samuel Paty est assassiné. Elle montre même en cours, après l’étude du roman de Madame de La Fayette, le film tourné par Sauder… Et l’on regrette qu’il n’y ait qu’une courte séquence consacrée à leurs réactions.
Ses anciens élèves, eux, ont bougé. Physiquement, on les reconnaît d’autant mieux que chacun est montré aujourd’hui et à l’époque du film précédent. Mentalement, on sent, on entend, que la vie n’a pas été douce, qu’il y a eu des drames, des passages à vide, mais aussi parfois des moments encourageants. Ils ont aussi bougé géographiquement, qui à Lyon, à Créteil ou en Suisse…
Ce qu’En nous montre, avec tendresse et chaleur, ce sont, ancrés au sol par un rapport à la culture et au beau, des chemins de vie, des combats et des découvertes. Et ceux-ci traversent l’histoire de l’époque, via une manifestation pour Adama Traoré, la visite d’une exposition sur le « Modèle noir » en peinture à Orsay, ou un flash radio évoquant le terrorisme islamiste. Et partant du particulier, le film se déploie en ondes amples, s’ouvre à l’extérieur et touche à l’universel. Et nous happe et nous bouleverse.