Le cinéma du moment est à la mode du « biopic », presque un univers à lui seul, une déferlante qui verse parfois sans discernement dans l’hagiographie. Quelques Saint-Laurent, Rodin, Trumbo, Django ou Cloclo plus tard, le mal étrange qui pousse les réalisateurs à replonger l’œil humide dans la vie d’illustres du passé, persiste. En dépit des flagorneries, certaines initiatives sont de belles réussites. En témoigne ce tout nouveau Egon Schiele de Dieter Berner, viennois de 73 ans très peu connu en France, acteur de théâtre et pour Haneke (Le septième continent – 1989), réalisateur de certains Tatort pour la télévision puis metteur en scène et scénariste en Autriche. Comme d’autres, il est passionné depuis l’adolescence par l’artiste-peintre, poète et dessinateur Egon Schiele, l’un des génies esthétiques les plus célébrés du XXe siècle, dont la vie fulgurante (mort à 28 ans) est à l’exact opposé de la portée durablement iconoclaste qu’il aura laissé. En sus de ses œuvres et de son talent, Egon Schiele fait office de précurseur, sorte de « rock star » rebelle figée dans la beauté de sa jeunesse. Surtout Dieter Berner s’inspire de la lecture du roman Mort et jeune fille : Egon Schiele et les femmes d’Hilde Berger qu’il invita tout de go à coécrire le scénario avec lui. De fait, le film est empreint de l’influence de cette dernière, de ses enquêtes et de ses analyses psychologiques fines, une spécialiste dont le point vue explore autant la vie des modèles féminins qui auront eu une influence déterminante sur Egon Schiele, que celle de l’artiste lui-même.
Enfin ce biopic ne serait rien sans la présence d’un acteur dont la véracité à l’écran s’avère indiscutable à incarner l’artiste. C’est en toute simplicité que Dieter Berner s’est affranchi de cette gageure en avançant le nom d’un parfait inconnu, distingué au gré d’un casting assidu : Noah Saavedra est ainsi captivant de bout en bout, parvenant à faire oublier le classicisme parfois un peu convenu de la mise en scène pointilleuse. Avec panache, il est cette jeunesse intense, conquérante des terres et des espaces dans un monde fin de siècle sans illusion, et éminemment consciente : comme l’écrivait Schiele dans une belle lettre à son oncle, « la vie doit être un combat contre les assauts des ennemis à travers des flots de souffrances ».