L’adaptation cinématographique de Dune, classique épique de science-fiction de Frank Herbert, par le Canadien Denis Villeneuve, compose un space opera grandiose. Au cœur de son spectacle époustouflant, un puissant récit de filiation, qui élargit la mythologie messianique de la saga.
Le nouveau monde de Dune est en marche. Ce monde est l’invention de Denis Villeneuve, et il est d’une stupéfiante beauté. Le cinéaste n’illustre pas l’univers de papier de la fable écologique de Frank Herbert, dont le lointain futur (le récit a lieu en 10191) ressemble curieusement à notre immédiat présent, avec son climat caniculaire déréglé, ses ressources naturelles qui s’épuisent.
Le cinéaste crée son propre monde, comme une extension du roman, avec sa vision de la bible de la SF qu’est le cycle du roman Dune, en six volumes. L’esthétique de Dune 2021 est somptueuse et Villeneuve rend ainsi compte de la démesure de la saga. La bande originale de Hans Zimmer rehausse cette splendeur formelle, dans un accompagnement synchrone avec les climats, les atmosphères, les tensions dramatiques du film.
Ce spectacle total, immersif, prend la forme d’un cinéma agité par les fureurs d’une guerre aux accents féodaux, entre la Maison des Harkonnen et la Maison des Atréides, qui s’affrontent pour le contrôle d’une rare et chère épice qui prolonge la vie et offre des pouvoirs prophétiques. L’épice se récolte sur une planète aride aux sables brûlants, infestée de redoutables vers géants, baptisée Arrakis ou Dune. Arrakis, planète désolée, est peuplée de Fremens, tribus aux airs de Berbères du temps des colonies.
Cette nouvelle adaptation de Denis Villeneuve, après celle de David Lynch en 1984, se perdrait dans ce grand spectacle, sa merveille, sa monumentalité, sa stylisation perfectionniste, si le metteur en scène ne cessait de recentrer l’histoire sur ses principaux protagonistes, les Atréides, emmenés par leur chef Leto (Oscar Isaac), sa compagne Lady Jessica (Rebecca Ferguson) et leur fils Paul (Timothée Chalamet). Il focalise sur le jaillissement de leur humanité comme il l’avait fait dans Blade Runner 2049 (2017), sa suite librement inspirée du Blade Runner de Ridley Scott.
Il y a une forme de déification dans l’histoire écrite par Herbert : le jeune Paul Atréides est l’Élu, promis à un destin messianique par les autochtones Fremens de la planète des sables Arrakis, qui voient en lui un envoyé divin qui les délivrera de tout mal, surtout du joug des oppresseurs de la Maison des Harkonnen. L’héritier de la Maison Atréides apprend qu’un grand homme ne cherche pas à conquérir le pouvoir, mais qu’il est appelé, providentiel. Le peuple natif d’Arrakis fait de Paul son sauveur, attendu depuis des milliers d’années.
Denis Villeneuve est particulièrement attentif à cette dimension biblique de Dune : il sacralise l’une des plus belles histoires de mère et de fils jamais racontée par la science-fiction, la relation entre Lady Jessica et son fils Paul. Telle Marie avec Jésus, Jessica accueille avec Paul sa vocation messianique, la croix d’un destin considérable. Il n’y a aucune idolâtrie, mais l’accompagnement maternel préalable à l’exercice de sa mission, dans une relation dynamique à son élévation au rang d’Élu.
Paul Atréides, jeune prince qui deviendra le prophète des Fremens, peuple d’Arrakis, est conduit par sa mère vers ce destin pour lequel il est choisi. Denis Villeneuve réussit magistralement un moment clé de l’initiation de l’héritier des Atréides, celle du Gom Jabbar : Paul doit démontrer la force de son esprit et son humanité en résistant à la douleur. Car s’il bouge, il mourra, transpercé par une aiguille empoisonnée. La raison, son esprit, lui intiment de rester immobile. Le cinéaste canadien filme cette épreuve en donnant à voir et le fils et la mère, qui lui transmet, derrière une porte, la force de la surmonter. Timothée Chalamet et Rebecca Fergusson y sont absolument transcendants, élevant leur rôle à une sorte d’acmé divine. Cette scène pourrait se résumer ainsi : « Tu seras un homme, mon fils ».
Une attention particulière est portée à Jessica, personnage fort, complexe et pivot (mais ce choix marginalise Oscar Isaac dans le rôle du père, qui en devient presque accessoire). Issue du Bene Gesserit, congrégation sectaire de femmes combattantes capables d’influer la pensée par des capacités mentales et physiques surhumaines, cette figure matriarcale conditionne et prépare Paul mentalement. Elle lui enseigne comment la Voix contrôle les esprits.
La très grande réussite de Dune repose sur la place essentielle de ce duo mère-fils, que les acteurs et la mise en scène rehaussent avec brio. Avant de mordre les poussières de sable brûlant de la planète Arrakis, Dune pénètre les entrailles d’une espèce de matrice originelle : la maison des Atréides. C’est le ventre d’un espace minéral immense et dépouillé, encombré de vide, semblable à une caverne qui féconde les prémices du récit messianique qu’est Dune. Il n’y a pas loin d‘un récit allégorique, platonicien, inspiré par le mythe de la caverne.