Si l’abus d’alcool nuit à la santé, les excès poétiques et la grâce cinématographique de Drunk font trôner son réalisateur, Thomas Vinterberg, au sommet de la pyramide alimentaire.
Drunk s’ouvre sur une citation de Sören Kierkegaard. Le philosophe danois, père de l’existentialisme, célèbre la liberté et l’individualité de l’Humain, cet animal passionné, et l’authenticité d’une pensée qui réconcilierait raison abstraite et expérience personnelle. Il est l’auteur de In vino veritas, plusieurs fois réédité ces dernières années. Ce texte, parmi les plus essentiels de son œuvre, met en scène cinq hommes réunis un soir d’été dans une forêt près de Copenhague pour échanger, dans un état second, propice à la proclamation d’une vérité sans retenue, sur les jouissances de la vie. Thomas Vinterberg met en scène quatre amis fatigués de la vie qui, sous couvert d’étude scientifique, disséquant leurs arguments comme dans une dissertation de philo, vont explorer les limites de l’alcool. Les leurs, celles de leur entourage, celles des convenances, aussi.
La messe est dite.
Restent quelques vérités, rationnelles, ou personnelles, c’est selon :
Drunk est un film danois, réalisé par Thomas Vinterberg, coécrit avec Tobias Lindholm, déjà à ses côtés sur le scénario de La Communauté, en 2016. Le film a fait partie de la Sélection officielle au Festival de Cannes 2020, comme Festen, Prix du jury en 1998, et La Chasse, pour lequel Mads Mikkelsen a remporté le Prix du meilleur acteur en 2012.
Drunk est un film sur les tréfonds de l’âme humaine, sur nos failles, sur nos aspérités, qui, abrasées par le quotidien, finissent par s’user. Caméra à l’épaule, souvent à hauteur d’homme, les yeux dans les yeux, Vinterberg nous embarque, nous fait glisser sur le fil du rasoir, nous agite, et nous recrache sur la grève, épuisés, lavés, régénérés, prêts à en découdre avec l’ennui, le mortel ennui. Il prend à bras-le-corps la solitude intérieure qui guette à mesure que les années s’empilent et que la raison l’emporte. Dépassés par leurs émotions, ballottés par les vagues, Mads Mikkelsen et ses compagnons perdent leurs repères pour mieux se retrouver.
Drunk est un film sur l’amour. Celui qu’on éprouve pour les autres, d’abord. Celui dont, souvent, on manque cruellement pour soi, ensuite. L’amour, émoussé par l’oubli, ne fait plus de vagues. Vinterberg nous rappelle qu’il faut vivre, qu’il faut aimer, qu’il faut danser, qu’il faut faire l’amour, recommencer, encore, et que l’exultation du corps est intimement connectée à celle de l’âme. Le rapport à la musique, au mouvement, traverse le film de part en part, et nous par la même occasion, avec une liberté si parfaitement contrôlée qu’on en reste stupéfait. Oui, l’amour, ça éclabousse.
Drunk est un film sur l’immense capacité que les hommes ont eue à ritualiser, intellectualiser, poétiser l’alcool. L’éthylisme est un bien plus joli mot qu’alcoolisme, il faut en convenir.
En trois actes, Drunk fait sauter nos verrous, nous désinhibe, nous donne des envies de sauts dans le vide, sans filet, jusqu’à son chant final, irrésistible. Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? On pourra objecter une scène, ici, tendant vers la mièvrerie, peut-être. Et une séquence d’archives, là, pourtant grandiose, truculente, mais peut-être trop lisible. Sauf que, comme le dit Kirkegaard lui-même, « plus on pense de façon objective, moins on existe. » Alors, au diable les objections. Au fond de ce verre-ci, la vérité, c’est qu’on sort ivre d’amour pour Drunk.