C’est à Bedford-Stuyvesant, quartier phare de l’arrondissement new-yorkais de Brooklyn, que Spike Lee tourne durant l’été 1988 son troisième long-métrage devenu culte : Do the Right Thing. Un bloc urbain marqué au fil des décennies par la présence de figures afro-américaines, de Lena Horne à Mike Tyson, de Chris Rock à Jay-Z, de The Notorious B.I.G. à Gabourey Sidibe. Le bitume est brûlant en cette journée estivale au cœur de l’intrigue. L’eau fuse par les bouches d’incendie. Les esprits s’échauffent, les tensions montent, les communautés s’affrontent. Les couleurs pètent, les dialogues crépitent et le flow est dense, au son de la bande musicale du propre père de Spike, Bill Lee, et d’une série de titres, dont Fight the Power de Public Enemy. Énergique, l’œuvre ravit, remue, et reste vive par son propos. Car elle est à la fois engagée et cinématographiquement forte. Le brio d’écriture valut à son auteur une nomination à l’Oscar du meilleur scénario original, vingt-neuf ans avant sa statuette de la meilleure adaptation empochée pour BlacKkKlansman.
Les Noirs en ont marre de ne voir que des Blancs italo-américains sur le mur de la pizzeria de leur quartier majoritairement afro-américain. Datant de plus de trente ans, la révolte et la répression au cœur du récit résonnent fortement avec le mouvement Black Lives Matter et la mort de George Floyd. Lee dédie son film à des victimes de violences policières. Il a trente et un ans au moment où il incarne lui-même Mookie, livreur de pizza employé par Sal, campé par Danny Aiello. Autour d’eux, une galerie de personnages au tempo communicatif, et croqués généreusement par une brochette d’interprètes en osmose, des aînés (Ossie Davis, Ruby Dee) à la nouvelle génération (Rosie Perez, John Turturro, Richard Edson, Martin Lawrence). Lancé au générique par la toujours malicieuse formule « A Spike Lee Joint », Do the Right Thing galvanise par sa liberté totale. Affranchi des diktats de production et de ton. Politique à fond. Et jouissif malgré la tragédie. Car le cinéaste n’oublie pas le plaisir et le lien au public. Il écrit et filme pour transmettre des émotions. Son cinéma doit circuler. Comme le dit le titre, c’est la bonne chose à faire. Bien faire. La chose juste.