Retour en fanfare et en version restaurée d’un film phare de la comédie italienne. Quand celle-ci se moquait des tartufferies de sa société, avec brio et Marcello…
C’était au temps où, en Italie, le divorce était rigoureusement interdit, mais le crime passionnel passablement toléré ! Si un mari trompé lavait son honneur dans le sang, l’article 587 du code pénal transalpin lui concédait cette réparation bien méritée en échange de la bagatelle de trois à sept ans de prison souvent compressibles.
Parti pour faire de ce sujet un drame, Pietro Germi, sur les conseils de Mario Monicelli, en tire une comédie. Grinçante, mordante, réjouissante. Le scénario est signé Ennio de Concini et Alfredo Giannetti, il met en pièces tous les travers contradictoires de la société du début des années 1960 : matriarcat, machisme, pudibonderie affichée, obsession du sexe… Tout cela alors que la modernité pointe son nez avec le boum économique… Situé en Sicile, lieu clos propice à tous les archaïsmes et à l’exaspération des clichés, son village, Agramonte, comme un théâtre, nous est présenté en voix off : « 18 000 habitants, 4300 illettrés, 1700 chômeurs habituels et saisonniers, 24 églises… ». Tourné dans un noir et blanc somptueux, Divorce à l’Italienne est un de ces joyaux qui ont fait la splendeur du cinéma italien d’après-guerre. Il n’a rien perdu de sa férocité, ni de sa drôlerie.
Moustache frémissante et chevelure gominée, fume-cigarette au bord des lèvres, le baron Ferdinando Cefalu a fière allure. Mais surnommé Féfé par toute la sainte famille (désargentée) qui vit sous le même toit, père, mère, sœur, oncle et tutti quanti, il perd immédiatement de sa splendeur. Marié à Rosalie, femme portant moustache elle aussi, et qu’il ne supporte plus, il est surtout très attiré par la fraîcheur pulpeuse de sa jeune cousine de dix-sept ans, Angela. Dans un premier temps, il visualise (et le film avec lui) tous les moyens d’éliminer la fâcheuse épouse, de la chute providentielle dans une cuve à savon au hachage menu. Puis, afin de n’être pas (ou peu) puni pour ce meurtre gratuit, il ourdit un diabolique stratagème afin de trouver un amant à Rosalie.
Portée par une écriture ciselée, mélangeant l’humour noir et le pathétique, constamment à la limite du grotesque, la mise en scène est d’une précision de métronome. Elle parvient avec des jeux d’ombres et de lumière sur la place du village, des rétrécissements du cadre dans les intérieurs, à donner la sensation palpable de ce monde rabougri d’hypocrisie derrière sa bienséance de façade et ses persiennes permettant de voir sans être vu. Toujours sur le fil du rasoir, Divorce à l’italienne parvient miraculeusement à maintenir une forme d’humanité à ses personnages, aidé en cela par la présence magique des acteurs. Marcello Mastroianni, à peine sorti de La dolce vita, bénéficiant d’une aura d’élégant séducteur, fait de Féfé un pantin amoureux d’une jeunesse et piégé par la morale ambiante. Aussi révoltant que charmant, il est un oxymore vivant pour lequel le spectateur ressent une empathie troublante, jusque dans ses plans les plus abjects. Quant à l’épouse, pourtant très chargée, car, en plus de sa disgracieuse pilosité, elle dispose d’une bonne dose de bêtise, elle est sauvée par Daniela Rocca, actrice par ailleurs ravissante, dont l’interprétation ambivalente force le respect. Car, jusqu’à ce que celui-ci la décourage par son indifférence et sa désertion du lit conjugal, Rosalie est aussi authentiquement amoureuse de son époux… Enfin, il y a Stefania Sandrelli, dans son premier grand rôle (après une apparition dans Gioventù di notte en 1961), celui d’Angela, la bien nommée. Même si, comme tout le monde dans ce film, elle se révèlera double. Sandrelli a l’âge du rôle, sa beauté sidérante, et elle a, déjà, ce sens du rythme et de la rupture qui feront d’elle une grande actrice.
Si Divorce à l’italienne parle d’un temps révolu (auquel il a lui-même aidé à mettre un terme en faisant débat sur la légalité du divorce en Italie), les tartufferies qu’il met en scène sont aussi modernes qu’universelles. Et c’est un film qui joue sans cesse sur le regard, le vrai, le faux, ce qu’on voit, ce qu’on veut voir. En bref, il respire le cinéma. Au point de faire référence à La dolce vita de Federico Fellini, film scandale que tout le village et la famille de Féfé s’apprêtent à aller voir au cinéma municipal, tandis que celui-ci s’échappe pour aller prendre son épouse en flagrant délit. Mastroianni se dédouble dans nos têtes (puisqu’il n’est visible ni sur l’affiche ni à l’écran dans l’extrait montré), et le jeu de miroirs devient vertigineux.