Avec Diamant brut, Agathe Riedinger signe l’un des premiers longs-métrages phares de l’année, mais aussi un portrait juvénile troublant et vivifiant, reflet du monde moderne.
Liane a des idoles. Liane veut devenir une fille de son temps, elle vénère les réseaux sociaux, ses icônes et son monde de followers. À défaut d’amour véritable, d’encouragement, de bagage socioculturel, de reconnaissance sociétale, elle veut se construire son destin à la force de son smartphone, passeport vers l’idéal. Comme ses compatriotes Loana et Nabilla avant elle, comme LA référence mondiale Kim Kardashian, elle veut devenir célèbre pour elle-même. Elle est même persuadée qu’elle va le devenir. Alors, elle tente le casting de Miracle Island et elle attend d’être élue. Touchée par la grâce divine. Entre trivial et sacré, la réalisatrice Agathe Riedinger construit le portrait d’une héroïne des temps modernes, emblématique de centaines d’adolescentes et de jeunes femmes (mais aussi de garçons), avides de célébrité et de réussite immédiate. Liane en est une quintessence, en prolongement de son court-métrage J’attends Jupiter, où la donzelle, gymnaste amateure, espérait déjà le coup de fil miraculeux qui l’arracherait à son midi aride.
La précision d’écriture de la cinéaste se mêle à une observation minutieuse de la féminité en mode aura fantasmatique de la télé-réalité. Agathe Riedinger en reste une spectatrice assidue depuis le programme pionnier Le Loft, passionnée par la quête de ces êtres qui n’ont qu’eux-mêmes à exposer, et pas de compétence spécifique, culinaire ou d’un incroyable talent. La frontalité de la mise en scène et la science de la durée des plans confèrent au film une force parfois sidérante. En témoigne la séquence du casting, qui symbolise parfaitement ce que cherche la créatrice : faire ressentir et éprouver une forme de réel, via les filtres de la fiction et du grand écran, en laissant aussi une part de mystère au hors-champ. Mission réussie. Difficile de rester de marbre devant le cheminement de Liane dans la jungle de l’existence. L’autrice fait de sa protagoniste une créature qui décide, avance, impose, avec son corps comme armure. Prête à jouer le jeu de la surexposition digitale et physique, et endossant le costume d’une hypersexualisation, tout en restant vierge. Ambivalence du paradoxe.
La débutante Malou Khebizi impressionne par sa captation du personnage et de son essence, faite de pesanteur et de grâce. Face à elle, des incarnations terriennes et sensibles à la fois, d’Andréa Bescond, étonnante en mère brute de décoffrage, à Idir Azougli, inspiré en amoureux à la masculinité tranquille comme vulnérable. Sans oublier Alexis Manenti, devenu l’aîné de ce dernier, après avoir campé le mec de Liane dans J’attends Jupiter. Toutes et tous prodiguent à cette immersion intime une richesse humaine, que la forme accompagne avec méticulosité. De l’image du directeur de la photographie Noé Bach – qui mêle la crudité solaire du Var populaire au glitter flashy de l’univers de Liane -, aux effets graphiques jouant des sms et des incantations intérieures, et à la bande sonore, de souffles en sons qui craquent, de titres hypnotiques en accords de violoncelle signés Audrey Ismaël. Diamant brut interpelle, et s’avère un écrin rare, révélant progressivement ses multiples facettes, de la puissance à la fragilité, de l’éclat au silence.