Un homme et une femme habitent au même étage de deux immeubles mitoyens à Paris sans se connaître. Autour des trajectoires disjointes de ces deux solitudes, Cédric Klapisch tisse un récit mélancolique très charmant.
Le petit monde de Cédric Klapisch est bien là, reconnaissable et vaillant, avec son environnement urbain – parisien : les 18e et 19e arrondissements, cette fois -, les pulsations électro de Loïk Dury et Christophe « Disco » Minck, et ses jeunes personnages, qui portent leurs tracas en bandoulière. Même les chats ont rejoint l’équipage, réactivant à notre mémoire celui, égaré il y a vingt-trois ans, de Chacun cherche son chat. Madame Renée, elle aussi, foule la terre de ce nouveau film avec sa verve légendaire – et pour la dernière fois, malheureusement : elle est décédée en juin dernier, à presque 101 ans.
Le réalisateur du Péril jeune a créé une famille au fil du temps. Il y a les amis fidèles, comme Zinedine Soualem, Simon Abkarian, qui campe ici un épicier flamboyant, Santiago H. Amigorena, qui cosigne le scénario, ou Cyril Moisson, l’ingénieur du son complice de longue date ; les nouvelles coqueluches que sont Ana Girardot et François Civil, déjà dirigés par Klapisch dans son précédent film, Ce qui nous lie ; et les nouveaux venus, parmi lesquels la jeune chef opératrice, Élodie Tahtane ou le monteur Valentin Ferron.
La tendresse et la confiance de Cédric Klapisch à l’égard de son équipe irradie à l’image de ce film sensible, nimbé de mélancolie. Comme si l’énergie induite par cette constellation était le pendant nécessaire à un film qui fait du vide et de la solitude le moteur de son action.
Deux moi suit la trajectoire parallèle de Mélanie, une jeune chercheuse, et de Rémy, qui travaille comme manutentionnaire dans une société aux faux airs d’Amazon. Tous deux sont voisins sans le savoir et traversent une phase de creux dans leur existence. Sans que leur route se croisent, ils entreprennent une psychanalyse, pour Mélanie, une psychothérapie, pour Rémy, et tentent, l’un et l’autre, de refaire surface.
En dessinant deux solitudes perdues au cœur d’un monde pourtant ultraconnecté, Cédric Klapisch signe son film le plus épuré à ce jour. Du rythme aux décors, en passant par les teintes douces de la photographie et le jeu frémissant de ses comédiens principaux, Deux moi fait progresser sobrement, joliment, sa vibration sentimentale. Car Deux moi est une histoire d’amour espérée, autant qu’une chronique urbaine d’aujourd’hui, et un hommage au métier de psy (la mère de Klapisch et les parents de Santiago H. Amigorena étaient psychanalystes), enfin représenté dans le cinéma français autrement que sous sa forme caricaturale. Les formidables Camille Cottin et François Berléand incarnent ces professionnels de l’écoute et du discernement dans un mélange parfait de bienveillance et de drôlerie.
On se promène un peu le vague à l’âme, mais avec le sourire aussi, dans cette variation contemporaine et éloignée de The Shop Around the Corner de Lubitsch, et après un prologue un brin long à la détente, on se laisse cueillir par l’humanité de tous les personnages de cette histoire, dont le centre névralgique est une épicerie de quartier, qui ressemble à un rêve ou une utopie réaliste. Celle que semble soumettre à nos yeux Cédric Klapisch, comme on fredonnerait tout bas un chant d’espérance.