Avec ce duo de films nippons arrive la découverte d’un réalisateur. Tetsuya Mariko traduit les maux humains dans des chroniques à la violence singulière. Des portraits inconfortables, mais qui marquent le regard autant que l’esprit.
Attention, ça va cogner ! L’univers du méconnu Tokyoïte Tetsuya Mariko ne lésine pas sur les coups. Il était temps que le public français découvre l’œuvre singulière du cinéaste quadragénaire. Il aura fallu attendre six ans après la présentation de son second long-métrage – et premier « professionnel » – Destruction Babies, au Festival des Trois continents de Nantes en 2016 (voir article correspondant), à la suite de sa révélation mondiale à Locarno, pour qu’il ait droit à une sortie française. Il est finalement dévoilé en duo avec son opus suivant, Becoming Father. Tout comme dans son premier long et film de fin d’études Yellow Kid, également sélectionné dans la cité nantaise, en 2010, le héros est un jeune gars nerveux, dont l’existence prend sens par les coups. Ici, la boxe, là, la bagarre. C’est ce qui saisit, intrigue, fascine et malmène dans les deux œuvres qui sortent en salle aujourd’hui.
Dans Destruction Babies, Taira ne pense qu’à se battre. Il quitte sa ville portuaire et son frère cadet pour gagner la grande cité de Matsuyama, en quête de baston sans fin. Dans Becoming Father, Miyamoto dérive de son quotidien tout tracé d’employé, et veut laver son honneur et celui de sa dulcinée, en affrontant sans relâche celui qui a violé cette dernière. Il y a une vision punk dans cette portraitisation d’une masculinité qui avance comme un bélier vers l’affrontement. La trajectoire du premier est encore plus radicale, car complètement gratuite, et, ainsi, étonnante. Celle du second est une réaction à un acte monstrueux, entre vengeance chevaleresque et vexation égotique. La femme existe aussi par elle-même dans Becoming Father, adapté d’un manga, mais c’est avant tout la réaction de l’homme qui aimante l’objectif de Mariko. Comme dans d’autres vagues du cinéma asiatique et de ses incursions dans la fureur froide, Tetsuya Mariko donne à voir une société où le policé collectif est pulvérisé par la pulsion de la violence.
Mais ce diptyque judicieusement associé, dû au distributeur Capricci, n’est pas calqué sur la trilogie de polars urbains hongkongais Le Syndicat du crime de John Woo et Tsui Hark, ni sur les films de survie type Battle Royale de Kinji Fukasaku. Ce sont bien des objets à part. Une singularité sans gros moyens, mais avec une conviction chevillée à la caméra. Celle d’offrir un instantané sur une humanité qui se jette dans le chaos, comme pour y trouver un sens existentiel. En très gros plan sur les visages tuméfiés, comme en plan large sur des décors témoins de l’agitation étrange de ces pantins contemporains, le cadre ne laisse pas de choix au public. Il colle aux basques de ces dérives dérangeantes. De lynchage sur le bitume en lutte en cage d’escalier, de frénésie dans une galerie marchande en déclaration d’amour déglinguée, le ton Mariko séduit autant qu’il décontenance. Il convainc aussi par la force de sa mise en scène sans esbroufe ni crainte. Une sorte d’artisanat de la frontalité. Que nous réservent ses millésimes à venir ? Mystère.
Olivier Pélisson