Sebastian Lelio rend présent le passé aboli d’un amour saphique interdit et retrouvé : c’est ce qui s’appelle rechercher le temps perdu. C’est être proustien.
Un deuil sublimé en espérance : Désobéissance, par un lent mouvement, opère une lumineuse transsubstantiation de la douleur en amour. Une femme exilée aux États-Unis, où elle est devenue une photographe célébrée, revient à Londres pour les funérailles de son père, rabbin très aimé et respecté. Elle retrouve ceux qu’elle n’avait plus vus depuis longtemps, famille, amis, connaissances. Le retour ne se fait pas si facilement : tout a lieu, tout est là, dans le huis clos étouffant d’une communauté juive ultra-orthodoxe du nord de Londres, soit dans les rets d’un traditionalisme rigoureux, strictement ritualisé et normé.
Et la femme qui revient, Rachel Weisz, femme libre, que Sebastian Lelio filme souvent en marche dans la ville, a été bannie de sa communauté il y a bien longtemps, pour avoir aimé passionnément une autre femme de cette communauté, Rachel McAdams, femme mariée désormais, pliée aux règles radicales de sa pratique religieuse, toute de noir vêtue, la tête couverte d’une perruque démodée. Tandis que l’autre est en mouvement, elle se tient droite, corsetée dans les habits de sa croyance radicale : elle est debout, immobile, archaïque, tenue par son milieu rigide, mais aussi comme pétrifiée d’effroi et de trouble. Car le retour de l’amour interdit ranime son vertige, sa brûlure, son désir. Rachel Weisz et Rachel McAdams se tournent autour, se frôlent, se touchent, s’attirent, s’aiment encore, en jouant de manière accomplie la vulnérabilité, dans le murmure de voix partagées.
Aussi subtilement qu’il avait marié l’amour et la mort dans Une femme fantastique, Sebastian Lelio mêle délicatement le tragique de la séparation et le tragique de la mort. Ils coïncident, se confondent peut-être même, comme un semblable état de perte. Mais tandis que la disparition du père oppose sa puissance irréductible, irréparable désolation, la réapparition de l’amante délaissée ouvre la possibilité de combler un vide, sur une rayonnante consolation. L’être cher est celui qui est parti, l’être chéri celle qui revient. La promesse d’un temps perdu et miraculeusement retrouvé recouvre bientôt la tristesse et la solitude en intrigue. Être dans et contre l’absence, voilà qui signe un film proustien.