La guerre d’Algérie, ses souvenirs et ses fantômes, hantent un petit village et les hommes qui sont revenus. Cinquante ans plus tard, ils se battent toujours avec eux-mêmes et le silence assourdissant. Douloureux et beau.
C’est une grande carcasse d’ogre, qui vit à l’écart du village, sillonne la région à mobylette, effraie un peu tout le monde et ne trouve sa place nulle part. Bernard, dit « Feu de bois », déboule dans la fête d’anniversaire de sa sœur Solange, comme un chien dans un jeu de quilles. Pas vraiment invité, il lui offre pourtant une broche, puis se sentant mal reçu, pas désiré, il déborde comme toujours, lance des mots inacceptables à la figure d’un convive et part commettre une saleté.
Cette adaptation du magnifique roman de Laurent Mauvignier par Lucas Belvaux (La Raison du plus faible, Chez nous) est au plus près des mots et des maux. Belvaux déjoue les pièges, il cède aux flash-back et aux voix off, mais dans une cohérence totale avec le texte. Des hommes mêle l’ampleur romanesque des récits à la sourde violence du vécu. Comme si Bernard avait ouvert la boîte de Pandore, des souvenirs affluent parmi les villageois qui répondent aux questions des gendarmes ; mais ils apparaissent également dans la tête de Rabut, son cousin, parti et revenu lui aussi ; et dans celle de Solange, qui ressort d’une boîte à chaussures les lettres envoyées d’Algérie par son frère. Alors, les « événements » refont surface, les vétérans redeviennent jeunes, les horreurs que tout le monde a tues sont enfin racontées et montrées. Et tout ce cheminement de vies ravagées par la guerre a enfin droit de cité.
Gérard Depardieu est bouleversant en Feu de bois, dont il endosse aussi la voix, forte et brisée, la jeunesse de Bernard étant incarnée par le prometteur Yoann Zimmer. Catherine Frot, fragile et déchirée, et Jean-Pierre Darroussin, douloureux et compact, sont les témoins perplexes des méandres de cette histoire, qui dit l’indicible, l’irregardable et l’inacceptable. Avec une force tranquille de grand film humble et droit.