Le nouveau Ridley Scott n’est pas qu’une fresque maousse costaud de plus. Le brio, le bruit et la fureur servent un récit puissant, où il est question d’une femme qui se révèle dans un monde masculin égocentré.
Le Dernier Duel est le vingt-sixième film du stakhanoviste Ridley Scott, en salle ce treize octobre, six semaines avant la sortie de son vingt-septième opus, House of Gucci. Hasard du calendrier de distribution, bouleversé par la pandémie actuelle. C’est aussi la troisième fois que le réalisateur revisite le Moyen Âge, après Kingdom of Heaven (2005) et Robin des Bois (2010), et la seconde fois qu’il engage Matt Damon après Seul sur Mars (2015). En plaçant une femme en personnage phare et pivot du récit, Scott remet aussi le féminin au centre de son cinéma, souvent concentré sur la masculinité, après la saga Alien (1979-2017) et À armes égales (1997), où les héroïnes gagnent le terrain réservé aux hommes (science-fiction, action, armée), et Thelma & Louise (1991), récit d’affranchissement devenu culte. Ce dernier avait également permis au cinéaste de mettre en scène pour la première fois un scénario écrit par une femme, Callie Khouri, oscarisée pour ce travail. Il réitéra pour son long-métrage suivant 1492 : Christophe Colomb, écrit par Roselyne Bosch.
C’est aujourd’hui Nicole Holofcener, réalisatrice souvent à l’œuvre sur les destinées collectives (Walking & Talking, Lovely & Amazing, Friends with Money), qui rejoint le tandem Damon / Ben Affleck (Will Hunting de Gus Van Sant) pour le scénario écrit donc à six mains, d’après l’ouvrage Le Dernier Duel : Paris, 29 décembre 1386 de l’universitaire expert en littérature médiévale Eric Jager. La particularité judicieuse du projet vient de la narration tripartite, déclinant successivement le point de vue des trois protagonistes en jeu, chaque vision étant prise en charge par un.e scénariste du même genre que celui du personnage. Damon a écrit la partie Jean de Carrouges, Affleck la partie Jacques Le Gris, Holofcener la partie Marguerite de Carrouges. Le grand Ben devait aussi incarner Le Gris, mais n’étant plus disponible, Adam Driver l’a remplacé et il a finalement campé le second rôle Pierre d’Alençon. Le Dernier Duel est inspiré de faits réels et traite d’un viol et de sa résolution judiciaire, dans une époque ultra-patriarcale et de grande barbarie, en pleine guerre de Cent Ans.
Passionnant de voir une fiction historique traiter de la question du consentement, et mêler l’intime au spectaculaire. La caméra suit aussi bien l’ignominie à l’abri des regards que le règlement de compte en pleine lumière, et aussi bien l’agression adultérine que l’abus conjugal. Avec sa maestria et sa puissance de mise en scène, Ridley Scott n’élude aucun machisme. Il filme un monde où la femme affronte la violence à répétition : féminité vouée au silence social, abus sexuel, mise en doute de sa parole, et survie ou exécution ne dépendant que de l’issue d’un duel à mort entre deux hommes. Car c’est l’honneur et l’ego masculin qui priment encore aux yeux de la société. Face aux vedettes masculines à l’aise dans les affres de l’ambiguïté, Jodie Comer incarne avec un aplomb remarquable une figure exemplaire par sa témérité, dans une époque de sauvagerie puissante et poisseuse, que Scott saisit avec une crudité sans fard. Plus le film avance, plus le divertissement de la fresque d’époque est évacué. Comme une flèche qui viserait lentement mais sûrement sa cible, l’œuvre redonne à Marguerite de Carrouges la place qu’elle mérite.