On doit à Mark Ruffalo l’initiative de ce film-enquête rigoureux de Todd Haynes, dans une tradition américaine de cinéma de vérité. L’acteur, avec une force tranquille, incarne un idéal de justice et de probité.
Dark Waters est un film droit. Entendre : un film vertueux, avec une morale inattaquable. Inspiré d’une histoire vraie, comme Hollywood en nourrit nombre de ses scénarios.
Ce réel est scandaleux : la contamination des eaux de Parkersburg (Virginie occidentale) par un composé chimique non réglementé utilisé par le géant de la chimie DuPont dans la fabrication du Téflon, un matériau largement présent dans les produits de tous les jours tels que les ustensiles de cuisine antiadhésifs et les tissus résistants aux taches. L’industriel savait les dangers et les risques sur la santé pour les hommes et les animaux : tant les enjeux financiers étaient supérieurs, les gains colossaux, il a dissimulé la toxicité du composé, le PFOA (acide perfluorooctanoïque), par ailleurs reconnue par l’Agence américaine de protection de l’environnement.
Un homme intègre a mis au jour l’affaire et obtenu la reconnaissance du préjudice des victimes, ainsi que leur indemnisation : l’avocat de Cincinnati Robert Bilott. Des milliers de personnes ont été exposées. Une étude a révélé des liens entre le PFOA et l’hypercholestérolémie, le cancer du rein, le cancer des testicules, la colite ulcéreuse, l’hypertension artérielle, l’hypertension induite par la grossesse et les maladies thyroïdiennes.
L’histoire de cet avocat écolo et justicier, dont le combat, débuté fin des années 1990, a duré plus de vingt ans, a été mise entre les mains de Todd Haynes par Mark Ruffalo himself. On n’attendait pas le réalisateur de Le Musée des Merveilles dans ce registre du film-enquête sur un scandale écologique. Il s’y révèle doué de méthode et rigueur, mais son approche quasi documentaire, sa précision factuelle, n’oublient jamais les moyens de la fiction de cinéma, avec une dramaturgie élaborée, une mise en scène puissante et sophistiquée (comment filmer un homme qui travaille sur des dossiers?) et un jeu avec les genres que sont le thriller, le film de procès et le film d’horreur.
On pourrait trouver nombre de films devanciers dans ce style et cette tradition, narrant un combat contre des puissants, ou mettant en lumière des avocats pugnaces. Évidemment Erin Brockovich, seule contre tous de Steven Soderbergh (2000), Michael Clayton de Tony Gilroy (2007), plus lointainement La Firme de Sydney Pollack (1993), plus récemment Spotlight de Tom McCarthy (2015).
Mark Ruffalo était l’un des acteurs de Spotlight, nom de l’équipe de journalistes du Boston globe qui mirent au jour un scandale pédophile au sein de l’Église catholique américaine, Mark Ruffalo trouve dans le rôle fort de Robert Bilott comme un prolongement naturel. Mais il est cette fois de tous les plans et tire la couverture à lui.
Mark Ruffalo a un modèle solide pour composer son personnage. Le genre de héros ordinaire, qui devient grand à force de ne rien lâcher, de croire dur comme fer à la justice de son combat, même contre les plus grands, les plus gros, les plus forts. Pot de terre contre pot de fer ; on n’est pas toujours sûr du nom du vainqueur.
Mark Ruffalo, son modèle, c’est cet humble avocat laborieux, venu de nulle part, mais qui s’accroche, qui bosse ses dossiers (la vérité est dans les détails ou entre les lignes). Il défend des principes, des valeurs, des idéaux. Il y a des choses avec lesquelles on ne transige pas : les enfants. La production du Téflon a empoisonné tout le monde. Les enfants aussi. C’est insupportable. Aucune conscience ne peut le tolérer. Todd Haynes y insiste, en plusieurs plans montrant les enfants, petites victimes.
Dans ce drame humain et environnemental, Todd Haynes donne à Anne Hathaway un rôle d’épouse et de mère au foyer, en retrait et un rien pleurnicharde (son avocat de mari est obsédé par sa guerre juridique contre DuPont, elle se sent délaissée). Mais Dark Waters n’épouse cependant pas la seule cause de Mark “Bob Bilott” Ruffalo. Si la sympathie est de son côté, l’empathie vient de Bill Camp, qui nous empoigne le cœur dans le rôle obstiné et tragique de Wilbur Tennant, le fermier de Parkersburg qui a mis l’affaire entre les mains de l’avocat de Cincinnati : il accuse DuPont d’avoir empoisonné l’eau, son bétail et ses animaux sont en train de mourir, lui et sa femme sont malades. Bill Camp nous regarde droit dans les yeux, il s’adresse à notre conscience, il nous ébranle, comme ces gens de Parkersburg et de West Virginia qui sont dans le film, comme figurants ou jouant leur propre rôle. Il y a là Jim Tennant, le frère de Wilbur aujourd’hui décédé de son cancer, et Bucky Riley, né avec des malformations liées aux eaux contaminées. Le sourire de Bucky illumine un film nécessaire.