Il y a des films miraculeux. Les débuts d’Emmanuelle Nicot dans le long-métrage en sont un exemple percutant. On ne ressort pas indemne de Dalva, car son humanité transperce, et galvanise d’une furieuse conviction que le cinéma panse et élève.
Dalva est un cri étouffé vers la libération. Le portrait d’une émancipation qui prend aux tripes. Emmanuelle Nicot n’a pas choisi la route de la facilité pour son premier long-métrage. Mais c’est sur les escarpes qu’elle trouve sa voie, et qu’elle atteint la lumière. Déscolarisée et coupée de tout, Dalva a douze ans, des atours de femme, et vit en couple avec son père. Tout lui semble normal, car elle ne connaît que ça, que lui, que cet amour-là. Sauf qu’un jour, elle est arrachée à ce huis clos existentiel, à cette emprise abyssale, pour être placée en foyer. Dalva est le cheminement de ce lent et tortueux exil d’une partie de soi et de tout ce en quoi on croit dans sa jeune vie. Cet avatar d’elle-même a la peau dure, et la carapace à faire sauter va lui donner du fil à retordre, à elle comme aux autres. L’autopersuasion et le déni sont des armes de survie quand on subit le pire, l’impensable, l’indicible : l’inceste.
Le coup de maître d’Emmanuelle Nicot est de filmer sa protagoniste à la bonne distance, sous l’œil aiguisé de la directrice de la photographie Caroline Guimbal. Au plus près de Dalva et caméra à l’épaule, mais sans jamais une once de complaisance, de voyeurisme, de chantage à l’émotion. Le regard est frontal, et nécessaire pour mieux rester à hauteur de récit. Le résultat est à couper le souffle. Dès la première séquence, l’énergie de l’effervescence saisit. Plus tard, quand Dalva est confrontée à son père, se lève et se débarrasse en un éclair de son anorak pour l’accueillir, filmée de dos, le ressenti est tétanisant. Quand elle cherche par tous les moyens à trouver de l’amour pour combler celui qui s’effondre, et que son éducateur s’évertue à rectifier le tir du lien qui doit les unir, l’émotion submerge. Les quatre-vingts minutes de fiction sont construites avec une alliance impressionnante de précision et d’intelligence. Et le diapason trouvé au montage par Suzana Pedro épate.
Lancé par la Semaine de la Critique à Cannes au printemps dernier, Dalva est aussi une révélation puissante, car sa réalisatrice a mis au service de ce qu’elle veut raconter son goût et son expérience du casting sauvage. Sa trouvaille de Zelda Samson est d’un flair inouï. Celle-ci livre une incarnation ahurissante, au vu de son âge et de son inexpérience d’actrice. Sa maîtrise pour transmettre une détermination progressivement minée par le doute nourrit le film d’une grande profondeur. L’entourant de leur intensité brute, de la douceur à la dureté, Alexis Manenti (Les Misérables) et Jean-Louis Coulloc’h (Lady Chatterley) offrent deux facettes opposées du spectre d’une masculinité habitée, le premier par sa mission, le second par sa pathologie. Si la vision de Dalva chamboule, c’est parce que cette œuvre touche au plus juste sur une enfance volée et abusée, et parce qu’elle prodigue en retour à son héroïne un tremplin salvateur. C’est la nécessité de transmettre cette histoire. C’est le désir impérieux de rendre au cinéma ce qu’il procure, en aidant à s’émanciper par le regard. Et c’est bouleversant.