Dahomey de Mati Diop

Donner la voix

Deuxième long-métrage de Mati Diop après Atlantique (2019), Dahomey suit la restitution d’œuvres d’art béninoises, du quai Branly jusqu’au Palais présidentiel de Cotonou. Un documentaire qui traite son sujet avec autant d’intelligence que de poésie, auréolé de l’Ours d’Or lors du dernier Festival du film de Berlin.

En 2021, la France restitue au Bénin vingt-six œuvres d’art, obtenues lors de campagnes militaires il y a plus d’un siècle. L’enjeu autour du patrimoine culturel des anciens pays colonisés est de taille. S’il a fallu plus de cinq ans entre la demande officielle du Président du Bénin et le moment du retour des pièces dans leur pays, Mati Diop ouvre son film dans l’action la plus concrète. Dahomey démarre avec le méticuleux démontage des statues, au musée du Quai Branly à Paris. Les équipes font preuve d’une précaution extrême et la caméra nous propose un point de vue rare sur cette situation. La cinéaste s’intéresse en particulier à une statue, celle de l’homme-oiseau du Roi Ghézo, à partir de laquelle tout l’espace s’organise. Elle est présentée au centre du cadre, alors que les personnes qui s’activent autour restent parfois floues. Cette première partie du film nous place dans sa perspective, jusqu’à s’enfermer avec elle dans un coffre-cercueil, début d’un long voyage vers son pays d’origine. Le documentaire glisse même vers la fiction en proposant plusieurs séquences oniriques où les statues prennent la parole en fon, la langue partagée par tous les Béninois. Porté par une voix d’outre-tombe aux tonalités graves et sourdes, ce très beau texte sur le déracinement, co-écrit avec l’écrivain hawaïen Makenzy Orcel, amène du fantastique dans le réel et renforce le caractère ancestral de ces statues. Elles semblent enfin se réveiller pour retrouver leurs origines.

Dahomey impressionne par la précision accordée à son environnement sonore. Au-delà du timbre inédit de cette « voix des trésors » (c’est ainsi qu’elle est nommée au générique), le film joue du contraste entre la France et le Bénin. À l’atmosphère silencieuse, quasiment secrète, du Quai Branly répond une arrivée en fanfare à Cotonou. Les œuvres sont accueillies par une foule en délire, dans une euphorie relayée par les médias nationaux, qui donnent à l’événement des airs de fête. Malgré ces environnements opposés, Mati Diop relie les deux villes en filmant le même soin et la même attention portés aux œuvres lors de leur installation dans ce nouveau lieu d’exposition. Par jeu de contraste et de répétition, la réalisatrice montre une égalité des savoir-faire, quel que soit le continent, tout en mettant l’accent sur l’événement que représente cette restitution.

De cette clameur enthousiaste, Mati Diop fait émerger une parole précise autour des retrouvailles de ces œuvres d’art. La réalisatrice a organisé et filmé une conférence au cours de laquelle étudiants et professeurs débattent autour des enjeux soulevés par cette actualité. Cette jeune génération béninoise se pose des questions sur son patrimoine matériel et immatériel, ses frontières ou encore la manière dont on grandit quand on est privé de sa propre culture. Les échanges sont vifs et passionnés, devant une assemblée attentive, qui acquiesce ou intervient pour amener de nouveaux éléments au débat. En accueillant cette parole, Dahomey gagne en ampleur et se hisse à la hauteur de l’enjeu politique et philosophique que constitue cette restitution. Plus encore, le film devient une caisse de résonance, invitant ses spectateurs à prendre part à la discussion et surtout à l’entretenir au-delà de la salle de cinéma.

À écouter aussi, l’interview minutée de Mati Diop par Jenny Ulrich