En s’emparant pour la première fois d’une figure célèbre, Quentin Dupieux concocte à nouveau la recette désormais bien connue de son cinéma, un casting détonnant au service d’un film concept, drôle et déconstruit. Il pousse cette fois-ci tous ces curseurs au maximum et dans une outrance assumée, parvient à saisir une certaine vérité de Salvador Dali dans ce portrait-hommage.
De l’eau coule dans un bassin, elle vient d’un petit piano transformé en fontaine. En son centre un arbuste pousse, complétant ce tableau reposant, voire méditatif. Cette séquence qui ouvre et ferme Daaaaaali ! est la seule référence directe à l’œuvre de l’artiste, en proposant une version animée de sa Fontaine nécrophilique coulant d’un piano à queue. Une manière pour Quentin Dupieux d’annoncer la couleur : Vous vouliez du Dali ? Le voici. Libéré de cette attente, le cinéaste peut maintenant s’atteler au film qu’il a vraiment envie de faire. N’allez pas voir Daaaaali ! pour parfaire vos connaissances sur l’homme, l’artiste ou son œuvre. Le treizième film du réalisateur de Yannick et Au poste ! est plutôt au croisement de la rêverie et de la farce, rythmée par un thème musical grisant, composé à la guitare par Thomas Bangalter (ex Daft Punk).
Un des partis pris du film réside dans les multiples incarnations de Salvador Dali à l’écran. Il n’y a pas un, mais cinq comédiens qui interprètent l’artiste. Quentin Dupieux les fait se succéder à l’envi et de manière interchangeable, permettant au film de prendre le contre-pied de ces fameux rôles à performance où un seul acteur emporte tout sur son passage, prenant parfois l’œuvre en otage de sa prouesse. Jonathan Cohen et Edouard Baer se partagent un Dali au langage fleuri et à l’accent grand-guignolesque. Pio Marmaï et Gilles Lellouch sont plus mutiques, le premier incarnant un versant plus artistique de Dali, souvent au travail, le deuxième s’affirmant peut-être comme le plus ressemblant physiquement. Enfin, Didier Flamand incarne une version plus âgée du peintre et participe à bousculer la chronologie et la structure du récit. Adepte du jeu naturaliste, passez votre chemin ! Bourrés de mimiques, caricaturaux (mais Dali ne l’était-il pas déjà ?), dire que les acteurs exagèrent est un euphémisme et l’outrance est le maître-mot de ces différentes incarnations. Si tout n’est pas toujours parfaitement dosé, les gestuelles expressionnistes de Jonathan Cohen ou l’interminable traversée de couloir d’Edouard Baer constituent quelques moments remarquables dans un film qui emporte par son extravagance. Anaïs Demoustier interprète une journaliste souhaitant interviewer l’artiste. Véritable fil rouge de Daaaaaali !, elle donne l’équilibre aux duos comiques qu’elle forme avec tous ces acteurs.
Au-delà de son interprétation, le film regorge de petites surprises qui ponctuent la trame principale. Une tentative de reconstitution d’une peinture de Dali d’un côté, une séquence à l’envers de l’autre. On sent l’amusement du cinéaste à bricoler et faire du cinéma un immense terrain de jeux. Quentin Dupieux déconcerte aussi par la manière dont il raconte son histoire. Il nous avait déjà habitués au film dans le film ou à ce que les rêves se mêlent à la réalité, souvent convoqués pour une pirouette ou un gag. Dans Daaaaaali !, il utilise ces procédés à répétition créant son œuvre la plus labyrinthique à ce jour. Le film est comme un puzzle dans lequel le vrai, le faux, les rêves et la vie se mélangent dans une boucle sans fin. Comme chez un Christopher Nolan qui aurait perdu son sérieux et sa rigueur scientifique, on pourrait s’amuser à tenter de reconstituer les pièces de ce puzzle (d’ailleurs, il y a peut-être autant de Dali que de niveaux de réalité différents ?). Ce projet est par avance vain, car c’est bien dans cet imbroglio de couches que le film prend tout son sens. La mise en abyme n’est plus qu’un effet de manche chez Dupieux, mais devient la forme principale du film, au service d’un personnage insaisissable, mystérieux et génialement fou. Avec cet anti-biopic de Dali, le cinéaste arrive peut-être à réaliser le film qui le raconte le mieux.