Un duo improbable se lance à la recherche d’une jeune femme trans disparue. Film de frontières et de passages, de transmission et d’acceptation, Crossing Istanbul est sensible et superbe.
Institutrice à la retraite et revenue de tout, Lia, pour accomplir une promesse à sa sœur, cherche sa nièce Tekla, jeune femme trans, dans son village natal de Géorgie. Ayant appris qu’elle est partie en Turquie, Lia s’embarque sur un bateau et atteint Istanbul, flanquée d’Achi, un garçon qui prétend pouvoir l’aider, mais trouve surtout là l’occasion d’échapper à sa vie.
Traversant la mer, puis des quartiers, enjambant des peurs et des préjugés, le film est sans cesse en marche et les personnages aussi. Le lien complexe entre Lia et Achi, la septuagénaire rigide et le grand ado peu fiable, évolue de façon moins balisée que prévu au fil de leur quête et de leurs rencontres. Parmi celles-ci, Evrim, une jeune femme trans spectaculaire, qui porte haut ses convictions et semble l’étendard de sa communauté.
L’image splendide restitue la beauté mélangée d’une cité qui bat et vibre. « Je crois qu’Istanbul est une ville où l’on vient pour disparaître », dit Lia. Et aussi, sans aucun doute, pour se révéler à soi-même… L’important ici, comme souvent, est moins le but que le voyage, le cadeau indirect que fait Tekla à sa tante en lui redonnant un projet, une mission. Et, au passage, une conscience nouvelle et le goût de la vie.
La question de l’identité, du lien familial (une jeune femme émue par Lia se prend à rêver que sa famille pourrait ou aurait pu, elle aussi, partir à sa recherche), des ponts entre les êtres est au centre du film et s’ajoute à la nécessité d’être qui on est et de rencontrer la tolérance, déjà présente dans le premier long de Levan Akin, Et puis nous danserons (2019). Interdit dans le pays d’origine du réalisateur, qui vit désormais en Suède, la Géorgie, où les droits des personnes LGBTQI+ sont de plus en plus restreints Crossing Istanbul, par le biais des festivals, de Berlin à Guadalajara en passant par la Rochelle ou Chéries-Chéris à Paris a déployé son humanisme salué par de nombreux prix, dont la Médaille Gandhi ICFT UNESCO à Goa.
Au cœur de ce long-métrage sensible et de son casting chatoyant, il y a une actrice merveilleuse : la Géorgienne Mzia Arabuli. La force inouïe et la présence tellurique d’une Anna Magnani. Elle est Lia, cette femme fermée qui peu à peu s’ouvre, ce visage imposant qui petit à petit s’attendrit. Elle est, à elle seule, tous les mouvements du film.