Être ou ne pas être capable. Là est la question de Compagnons, qui met en scène une jeune fille à l’avenir incertain confrontée à l’apprentissage et la solidarité prônés par les Compagnons du devoir. Un film choral et viscéral.
Elle saute sur les toits de Bellevue, sa cité nantaise, pare de graphes colorés les cheminées blanches, s’occupe de sa petite sœur et gratte des murs sur un chantier de réinsertion mené par Hélène (Agnès Jaoui, subtile et tangible). Naëlle a 19 ans et aucune perspective ; elle sent bien que, quand on vient de là d’où elle vient, « c’est mort ». Elle a intégré depuis son plus jeune âge que les opportunités ne se baladent pas dans son quartier, que la chance, ce n’est pas pour elle. Lorsqu’elle se retrouve tricarde pour avoir éparpillé les sacs d’herbe d’un dealer qui exige remboursement, la proposition que lui fait Hélène d’entrer en apprentissage chez les Compagnons du devoir pourrait devenir sa planche de salut. Aux côtés de Paul (Pio Marmaï, plus vrai que nature) elle découvre de nouvelles règles de vie, une compagnie à la fois désuète et soudée, et l’art du vitrail.
Minutieusement écrit après un travail d’enquête par Johanne Bernard et le réalisateur François Favrat (Le Rôle de sa vie), ce film humaniste a le grand mérite de nous ouvrir les portes de deux mondes. Celui des banlieues, devenu presque un cliché au cinéma, mais ici rehaussé de bienveillances (mais peut-être un peu trop binaire, malgré tout). Et celui des Compagnons du devoir, terra incognita pour les non-initiés, rarement – voire jamais – montré sur grand écran, et tout à fait intrigant. Avec ses rites immuables, ses chants choraux donnant la chair de poule, ses surnoms rigolos qui accolent la région dont on vient et une qualité (Hélène s’appelle Bourguignonne intrépide, tandis que Paul est Bordelais Cœur fidèle !). Et son partage de savoirs artisanaux précieux et de gestes uniques pour chantourner une pièce de bois ou une plaque de verre coloré.
Cette découverte, nous la faisons sur les pas de Naëlle, personnage très attachant incarné par Najaa. Actrice pleine de grâce et de rage, d’intelligence et d’instinct, elle habite littéralement le rôle, et dans ses échanges avec Agnès Jaoui et Pio Marmaï tout en écoute, elle trouve la bonne distance, l’expression exacte. Le reste de la distribution est composé de non professionnels, pour la plupart confondants. Il y a beaucoup de joie à regarder ce film qui expose, avec autant de naïveté que de justesse, une urgente volonté du vivre ensemble. Car il s’agit ici de redonner confiance à quelqu’un qu’on a stigmatisé toute sa vie. Lui montrer qu’elle sait, qu’elle peut, qu’elle est « capable ». Et pourrait même atteindre la belle devise des compagnons : « Capables, dignes, libres et généreux. » En ces temps de « Karcher ressorti de la cave » et de « mineurs isolés » mis dans le même sac d’injures, proposer une autre voix, une autre voie, est un geste fort.