En s’intéressant au fonctionnement d’une municipalité, Frederick Wiseman offre un cours de politiques publiques passionnant, une leçon de démocratie, et, en creux, un film politique apaisé.
Le plus passionnant observateur des institutions est de retour. Il a filmé le fonctionnement d’une fameuse université (At Berkeley, 2013), d’un jardin public (Central Park, 1989) ou d’un hôpital (Hospital, 1970). À 90 ans, Frederick Wiseman suit ici, et pour la première fois, les actions et prérogatives d’une mairie.
Avec City Hall, Wiseman propose un film à voir comme en miroir de son documentaire précédent, Monrovia, Indiana. Dans cet opus, le cinéaste nous emmenait dans une petite ville du Midwest, Monrovia, réputée pour avoir majoritairement voté Trump aux dernières présidentielles. Dans City Hall, c’est à une grande ville démocrate de Nouvelle-Angleterre, Boston, que s’intéresse le réalisateur. En nous promenant à l’intérieur de l’impressionnant bâtiment brutaliste qui accueille la mairie, et à travers les rues des quartiers chics et arrondissements pauvres de la ville, Wiseman, fidèle à son habitude, propose une réponse par l’exemple à de grandes questions de démocratie. Qu’est ce qu’une municipalité ? À quoi sert-elle ? Quel est le périmètre de son action ?
Le temps d’une après-midi que dure le film, le réalisateur nous emmène à une réunion de quartier où est posée la question de l’installation d’un magasin de vente légale de cannabis ; nous invite à une soirée d’hommage aux anciens combattants ou à un repas pour les aînés ; nous fait assister à une contestation de contravention, au ramassage des ordures, à l’inspection d’un immeuble en construction. Et quatre heures trente plus tard, on aura l’impression d’avoir fait un stage prolongé avec les services municipaux de Boston, et on aura des éléments de réponse à nos grandes questions. Qu’est-ce qu’une mairie ? C’est ce qui régit la vie d’une cité. Et regardez comme elle vit, cette ville.
Wiseman n’a certainement pas choisi Boston par hasard. Ville natale du cinéaste, et capitale d’État de tradition démocrate, bien sûr. Mais au-delà de ces évidences, c’est la personnalité du maire de la ville qui a dû particulièrement intéresser le documentariste. Marty Walsh apparaît dans City Hall (qui aurait presque pu s’appeler Mayor) comme un maire omniprésent, sympathique et charismatique. On sent le réalisateur séduit. Mais, dans ses discours, dans ses prises de position, apparaît inlassablement l’ombre d’un autre homme politique : Donald Trump. Walsh est l’anti-Trump, comme Boston est l’anti-Monrovia. Et c’est là que Wiseman fait du cinéma politique sans en avoir l’air, et en étant bien plus pertinent que nombre de réalisateurs qui se sont risqués à l’exercice.
Plutôt que de se lancer dans une énième critique de la politique du président américain et sans non plus tenter un vain catalogue de solutions, Wiseman nous montre une Amérique qui fonctionne, malgré tout, et pas trop mal – même si tout n’est pas parfait. La pauvreté reste bien présente dans cette grande ville de la côte est, les discriminations aussi. Mais la municipalité, ses agents, ses élus et ses habitants sont mobilisés pour changer les choses. Voilà un film qui donne envie de s’engager. Pas de faire la révolution, mais au contraire de croire dans le système démocratique. Une leçon précieuse.