Une bande de jeunes gens « périurbains » bloqués dans un bled des Causses, un duo de garçons qui s’aiment à la vie à la mort, même si l’un semble le souffre-douleur de l’autre. Ce premier long-métrage est un bijou insolent et émouvant. Avec deux formidables acteurs : Anthony Bajon et Raphaël Quenard.
Prix du public au dernier festival d’Angers et coup de cœur de Bande à part, ce Chien de la casse est un drôle de film. Inclassable. Étonnant. Ce serait plutôt un drame social, mais allons bon, il est drôle ! Nous sommes dans un petit village de l’Hérault, Le Pouget, où des jeunes gens tuent l’ennui et tournent en rond. Le soir, ils zonent sur une placette juchés sur un banc. Ils fument des joints, descendent des bières et balancent des vannes. Et chaque lendemain est un peu semblable à la veille. C’est une histoire d’amitié, de solitude aussi. Et de manque de perspectives. Pour eux, il n’y a pas beaucoup d’avenir, à part peut-être se tirer, partir pour l’armée ou bâtir des châteaux en Espagne.
Il y a là Mirales, grand gars dégingandé au large sourire d’enfant, hâbleur, tchatcheur ; il est le meneur, celui qu’on écoute, qui fait rire le cercle des copains, les effraie un peu aussi. Il gagne sa vie en vendant du shit et son business est florissant. Son autorité naturelle s’exerce sur son chien, Malabar, qu’il a dressé avec amour et dont il se sent le « papa ». Elle s’exerce aussi sur son meilleur pote, Dog, le doux, le tendre, le soumis, celui qui sourit en coin et regarde par en dessous. Entre eux, c’est pour la vie, on n’envisage pas l’un sans l’autre, à tel point que lorsque la blonde Elsa déboule pour trois mois afin de garder la maison de sa tante, Mirales, qui se demande ce que cette meuf peut bien avoir de plus que lui, commence par demander à Dog s’il lui plairait s’il était une fille. Ce qui se joue là, de la difficulté de s’y retrouver quand le monde se referme sur vous, est tout simplement bouleversant.
On pourrait croire qu’on a déjà vu ce film, sur des jeunes glandeurs de bled paumé, sur deux compères qu’une jolie demoiselle risque de séparer, mais dès les premières images, la lumière mordorée sur les toits du village, la beauté un peu désolée des Causses alentour et aussi la vérité en gros plans des visages de ces jeunes gars si vivants, si attachants, alliée au rythme staccato de leurs accents chantants, un sentiment différent s’installe sur l’écran. Une délicatesse. Une vérité. Mirales cite les grands auteurs et on se dit qu’il brode, qu’il invente, mais non. Sous des dehors bravaches, Mirales est cultivé, il lit des livres. Il possède tous les outils pour mesurer l’étendue de son malheur, lui qui supporte sans mot dire une mère totalement dépressive et semble englué à vie au cœur de ce village perdu.
Dans Chien de la casse, rien ni personne n’est tout à fait ce qu’il semble être ; il y a ce qu’on paraît et ce qu’on est au fond. Au plus profond. Tout est résumé dans le nom du chien : qu’est-ce qu’un malabar ? Un gros costaud et aussi un chewing-gum très sucré de notre enfance. Pour s’efforcer de voir la vie en rose, Mirales, mine de rien, y met du sien, lui qui, chaque jour, remonte les rues de son village, chemin identique, tel Sisyphe poussant un fardeau invisible, mais bien là. Les dialogues jamais fabriqués, mais très intriqués au moment, à l’instant, sont d’une drôlerie insensée. Des notes de piano classique viennent doucement caresser les âmes rebelles. Raphaël Quenard et Anthony Bajon forment un duo aussi fusionnel que désaccordé et réinventent par leur jeu instinctif, leur puissance de feu, l’innocence de leur violence, les binômes antagonistes que le cinéma nous a si souvent racontés. Et de ces grands mômes un peu fracassés qu’ils habitent à la perfection, on découvre, au fond, que ce qui les effraie le plus, c’est d’accepter de changer. De grandir. Et peut-être enfin accepter d’être ce qu’ils sont.