Dans une France du Nord minier et du chômage, Lucas Belvaux enrôle une jeune femme altruiste dans une campagne d’extrême droite, au service d’un parti identitaire à la ressemblance non fortuite avec le Front National.
Chez Nous, c’est chez eux, et chez eux, c’est chez nous. Et eux, c’est nous. Ils nous ressemblent, on leur ressemble. Derrière leur porte ne se tient pas un autre monde, mais notre France familière, notre pays partagé, des visages communs, des vies comme les nôtres, des gens comme en connaît, des potes comme on en a, des voisins comme on en côtoie : une infirmière à domicile divorcée (Émilie Dequenne) qui élève ses gosses comme elle peut et s’occupe de son vieux père, ancien mineur communiste ; un médecin de famille affable et matois (André Dussollier) ; un facho au visage d’ange (Guillaume Gouix), entraîneur sportif qui se démène pour les gosses ; une prof super sympa (Anne Marivin) qui rend des services.
Le populisme a ceci de singulier, qu’il s’habille sans monstruosité, et c’est d’abord ce qui frappe dans le film de Lucas Belvaux : la respectabilité et l’amabilité. Il n’y a ni fous furieux, ni idéologues dangereux, mais l’extrême normalité d’une France déboussolée, en crise, se sentant exclue, reléguée, se raccrochant à d’impossibles chimères. En embuscade se tient un parti d’extrême droite, le Rassemblement national populaire, qui capitalise avec une habileté déconcertante sur leur désespérance. À sa tête, une blonde forte en gueule dans laquelle on reconnaît sans peine le double de cinéma de Marine Le Pen. Une chef de parti roublarde, lissant avec une nouvelle rhétorique et des éléments choisis de langage, des idées xénophobes, racistes et antisémites. Chez Nous montre comment opère, avec un vrai génie stratégique, la dédiabolisation et l’expansion du parti sous le masque d’une extrême normalité. Les apparences d’un parti comme un autre.
Lucas Belvaux joue habilement, jusqu’au trouble, avec cette normalité et ces personnages pour lesquels on éprouve de la sympathie, de l’empathie – comment faire face à ces gens qui ne font même pas peur ? se demande le spectateur. Avec une clinicité toute politique, sa fiction prise sur le réel du FN dissèque avec conséquence les ressorts de l’extension du domaine de sa lutte. Comment il enrôle dans ses campagnes des gens qui ne militent même pas pour ses idées, mais veulent juste changer les choses. Le scénario de Chez Nous, coécrit avec Jérôme Leroy d’après son livre Le Bloc (Gallimard), avance avec les mêmes armes que le FN. Voici la banalité du mal – et on sait depuis Hannah Arendt que l’ordinaire est possiblement terrifiant.
Lucas Belvaux passe en douce, sans forçage scénaristique, sans coup de poing dans la gueule, sans démonstration spectaculaire. Film de tract avec tact ? Il occupe en réalité une position faussement neutre. Jetant dans les bras de l’infirmière gentille fille, naïve, enrôlée presque malgré elle, l’entraîneur sportif facho, ancien membre du service d’ordre du parti, qui casse du migrant dans les bois la nuit et de l’étranger le jour dans la cité, il remet sur la table le vrai fond idéologique et haineux de l’extrême droite. Lucas Belvaux n’est pas un cinéaste dégagé. Comme Alan Clarke avec Made in Britain, portrait frontal d’un skinhead des années quatre-vingt, dont Diastème a filmé sa version actualisée dans le récent Un Français, il montre le mal radical derrière la banalité du mal. Bienvenue Chez Nous.