Chavela Vargas


Les cordes à vif


Classique sur sa forme, ce portrait documentaire sur l’icône mexicaine offre la vision en creux d’un monde ultracodé, où une femme s’est imposée sans chercher à plaire, et a fait avancer une société par son seul mode de vie. Un témoignage fort.

Présenté à Berlin en février dernier, et sous-titré La Légende de la musique mexicaine, Chavela Vargas rend justice à une artiste méconnue en France. Icône musicale, elle est pourtant devenue, au fil des décennies, icône tout court, au même titre qu’Édith Piaf, Billie Holiday, Oum Kalsoum ou la Callas. Morte en 2012 à 93 ans, sa vie est un destin unique qui a traversé le XXe siècle. La lumière côtoyant les abîmes. Née au Costa Rica, elle rejoint le Mexique dans sa jeunesse, quand elle sent que sa famille la rejette pour ce qu’elle est. Libre, anticonformiste, lesbienne. Dans un pays très machiste et conservateur, elle va pourtant trouver sa place. En chantant comme les hommes, des mélodrames d’amour adressés à des femmes, la fameuse musique ranchera. En fumant, buvant, portant un flingue et se comportant comme les mecs de l’époque. Elle abandonne vite les robes et strass pour son poncho sarape rouge, et sa voix trouvera un écho fort avec les compositions de José Alfredo Jimenez.

Ce documentaire signé à deux regards réunit une interview conversation par Catherine Gund datant de 1991, de nombreuses images d’archives, et des entretiens avec des proches et artistes influencés. De l’avant-gloire à l’évocation de la traversée du désert, suite à une séparation, puis au retour lumineux à 72 ans, soutenue par l’admirateur ami Pedro Almodovar, qui l’emmènera vers l’Espagne, la reconnaissance ultime et les plus belles scènes. Son dernier grand amour a même ouvert sa porte aux réalisatrices. Classique sur sa forme, le film offre le portrait en creux d’un monde ultracodé, où une femme s’est imposée sans chercher à plaire, et a fait avancer une société par son seul mode de vie. Un personnage qui allie une expression extrême de la douleur, du désir, de l’abandon, à une puissance désossée de toute guimauve. Et le récit rend grâce à cet être rugueux, beau dans sa verticalité, même dans sa dimension d’abattement. Chavela tient la tête haute, et mourra au pied d’une montagne sublime, en quête paisible de l’éternité. Roc touchant le ciel.