Avec ce douzième film en dix-sept ans de métier, Christophe Honoré parachève une filmographie dense sur les affres des passions amoureuses. Dans Chambre 212, le cinéaste offre à Chiara Mastroianni, son actrice fétiche, le rôle le plus marquant de leur collaboration.
Maria (Chiara Mastroianni) retrouve, le temps d’une nuit, les fantômes de ses amants perdus, parmi lesquels son actuel mari Richard (Benjamin Biolay) à l’âge où ils se sont rencontrés (Vincent Lacoste). Et l’amour de jeunesse de son compagnon (Camille Cottin). Contrairement à ce qu’un tel synopsis pourrait suggérer, l’intrigue n’est en rien alambiquée. Plus intéressant surtout : Chambre 212 est un film tenu et inspiré.
Depuis Plaire, aimer et courir vite (2018), Christophe Honoré semble construire un nouveau cycle à sa carrière. Un geste créatif plus mature que les précédents ; la synthèse des thèmes et des formes engagés jusqu’alors. Tandis qu’il avait pu décevoir à dépeindre les sentiments humains dans Non ma fille tu n’iras pas danser (2009) et Homme au bain (2001), le réalisateur réinvestit à présent ses qualités de metteur en scène et de conteur d’histoires.
Pour notre plus grand bonheur. Car, pour être devenu l’étendard d’une génération de spectateurs épris de romantisme et de littérature, il avait su briller par deux aspects : une partition enchantée des relations amoureuses et des mises en scène au caractère ludique. Avec Chambre 212, ces qualificatifs renaissent.
Voilà une œuvre tenant en un mouvement fluide et émerveillant : en un souffle ! Pareil charme avait déjà fait des Chansons d’amour (2007), fable amoureuse musicale sur les attachements et la mort, un film marquant pour toute une génération de jeunes adultes.
Aujourd’hui, Christophe Honoré troque les refrains pour des dialogues au ton rohmérien, métaphorique, percutant. Tout aussi mélodieux. Afin d’évoquer le désir charnel qu’elle éprouvait dans ses jeunes années pour son mari Richard, Maria résume ainsi : « Il suffisait que tu te mettes au piano pour que je fonde comme un sucre dans du thé ».
Trouvailles textuelles et formelles, Chambre 212 propose une nouvelle et étonnante variation du couple amoureux infidèle en mal de fougue. Auprès de ce couple d’intellectuels, le traditionnel trio amoureux cède. Ils sont quatre et plus à s’aimer. Pourtant, il est moins question de polyamour que de quête de l’être aimé et d’un éternel amour.
Suite à une dispute, Maria s’installe pour prendre du recul sur son histoire sentimentale en face de l’appartement où reste son mari. Elle se retrouve alors à étreindre le souvenir d’un corps qu’elle a follement aimé. Quelle ingéniosité dans cet enchevêtrement abouti du passé et du présent, où le flash-back n’est pas en sépia, mais se vit dans l’instant.
Quel amusement que de découvrir une allégorie de la volonté de Maria dans les traits d’un sexagénaire débonnaire lui pardonnant ses écarts conjugaux !
Quelle beauté dans la texture des décors et de cette neige artificielle qui s’abat sur le couple en crise ! Météo mélancolique sur deux êtres s’aimant au passé. Clin d’œil au cinéma d’Alain Resnais (Cœurs, 2006) ?
Et quel plaisir à voir jouer ces acteurs réunis! Leur affection sur le plateau de tournage déborde de l’écran de projection. Malgré la fantaisie du propos, ils parviennent à nous faire croire à leurs liens.
Enfin, il y a l’ultime ravissement : Chiara Mastroianni, l’impériale Maria. Bien que le dernier plan ne soit pas sans rappeler l’affiche d’un précédent film de Christophe Honoré, Non ma fille, tu n’iras pas danser (2009), Maria n’a rien à voir avec les autres personnages qu’elle a pu interpréter à ses côtés. Flamboyante, indocile, attachante, elle rappelle Rita Hayworth dans Gilda (Charles Vidor, 1946). Son prix d’interprétation féminine dans la sélection Un Certain Regard à Cannes cette année est amplement mérité.