Alors qu’il apprend que son père est gravement malade, Jean, qui avait depuis plusieurs années coupé les liens avec sa famille de vignerons en Bourgogne pour faire un tour du monde, retourne dans le domaine familial. Ce qui ne devait être qu’une visite éphémère s’éternise, à mesure que se renouent les liens avec son frère et sa sœur.
Tout commence par un paysage de vignoble, comme ceux qu’on peut voir sur les cartes postales des arrêts touristiques de la route des vins en Bourgogne. C’est la vue depuis la fenêtre de la chambre d’enfant de Jean (Pio Marmaï), fils de vigneron, que la tradition appelle à la succession familiale. Au fil des saisons, le paysage change, et on ne saurait dire de quelle couleur les vignes sont les plus belles. En voix off, dans une nostalgie presque proustienne, Jean se souvient. Enfant, il était fasciné par ce changement perpétuel, de couleurs, de contrastes. Avant qu’il ne se dise qu’en fait, tout était toujours pareil. Que si lui ne changeait pas, son monde serait toujours le même.
Difficile de savoir quel est le vrai sujet du douzième long-métrage de Cédric Klapisch. S’agit-il d’une fiction sur l’œnologie et la viniculture, une sorte de Sideways à la française ? Est-ce plutôt un film de relations humaines sur fond d’histoires familiales ? À moins qu’il ne s’agisse de quelque chose de plus profond encore, l’histoire d’un rapport au monde, à la terre. On remarquera que Jean, fuyant l’absence de nouveauté de son paysage quotidien, finira par s’installer dans un paysage incroyablement similaire, pourtant à des milliers de kilomètres de là. Un vignoble en Australie, qu’on découvrira le temps de quelques plans fugaces. Comme si, d’une manière ou d’une autre, où qu’il aille, il ne pouvait échapper à ce paysage. Qu’il le veuille ou non, c’est un paysan, au sens étymologique du terme. C’est-à-dire que c’est son pays, ses acres, ses terres, qui le définissent, qui font ce qu’il est.
Ce qui nous lie traite, comme beaucoup trop rarement dans le cinéma français, de paysannerie, de ruralité, sans être ni péjoratif ni condescendant. Ses personnages ne sont jamais misérables ou pathétiques. On y croise des petits bourgeois de campagne comme des vieux seigneurs. Certains sont braves, d’autres méprisables. Contrairement à bien des films sur la campagne (des Profils paysans de Depardon aux Effroyables Jardins de Jean Becker), cette ruralité n’est pas considérée par rapport à la ville. Klapisch évite tous les stéréotypes usés sur les valeurs paysannes. Le réalisateur évite même de céder aux sirènes de la « scène de village ». La vie de village, fantasme absolu du cinéma en milieu rural, n’existe pas dans Ce qui nous lie, comme elle n’existe pas dans la réalité campagnarde. Dans le film de Cédric Klapisch, le village n’est qu’une ombre au fond du terrain, et n’apparaît jamais à l’image. À peine est-il évoqué. Le village est purement fonctionnel, on y va pour acheter ou vendre des produits.
La sociabilité du village telle qu’elle est souvent représentée au cinéma n’est qu’une version sublimée et naïve des relations sociales en ville. Or, puisqu’il n’y a pas vraiment d’amitié villageoise, c’est dans les relations familiales que la vie sociale s’opère. Entre amour, jalousie, tendresse et énervement entremêlés, Klapisch peint avec une grande finesse les relations fraternelles. Et bien sûr, ce sont les terrains, le pays, qui vont resserrer les liens entre frères et sœur, comme se nouent entre elles en s’enfonçant dans la terre les racines des vignes qui semblent y vivre depuis toujours.