C’est l’histoire d’une rencontre. Maïwenn et Jeanne du Barry. Deux femmes pas comme les autres, pour un film maousse costaud, qui se retrouve en inauguration de l’événement mondial du cinéma en France. Nouveau défi. Décryptage.
Soit Jeanne du Barry, comtesse du Barry, née roturière dans la Meuse, et devenue favorite du roi Louis XV. Soit Maïwenn, née en Seine-Saint-Denis dans une famille modeste, et devenue actrice et réalisatrice renommée. Deux cent trente-trois ans les séparent et un long-métrage les réunit. La seconde s’y filme dans la peau de la première. Programme audacieux et ambitieux, mais finalement évident pour la cinéaste. Elle a eu le coup de foudre pour le personnage, en la découvrant campée par Asia Argento dans Marie-Antoinette de Sofia Coppola en 2006, et s’est passionnée dès lors pour son parcours. Mais il lui aura fallu des années, selon ses propres mots, pour dépasser son complexe d’infériorité, et son sentiment d’illégitimité à s’emparer du projet pour en tirer un film. L’œuvre est aujourd’hui faite, et se dévoile en ouverture du 76e Festival de Cannes.
Maïwenn tient son film, et le pouls bat. Le rôle de la du Barry lui va comme un gant. Passionnée, curieuse, fantasque, fine observatrice, la favorite sait mettre à profit son goût des lettres, des mots et des arts, pour s’élever dans la société et trouver sa voie dans un monde corseté et patriarcal. Maïwenn, en créatrice volontaire, lui donne sa fougue et son insolence, et se nourrit de son destin hors du commun. Celui de la dernière grande favorite d’un roi de France. L’auteure réussit le passage au « gros » film, à savoir la fiction historique en costumes, en changeant le cap côté fabrication : tournage en pellicule 35 mm, cadres plus larges, création d’une voix off, et gommage de l’improvisation, avec lectures pré-tournage et répétitions avant chaque scène. Gros bémol cependant : il faut accepter, dans cette production française, tournée en français, avec une distribution française, au XXIe siècle, que le souverain made in Cocorico soit campé par un acteur étranger non francophone, aussi talentueux soit-il. Johnny Depp est un soliste polymorphe hors pair, mais sa crédibilité en Louis XV dit « le Bien-Aimé » vacille.
La formidable idée du scénario de Maïwenn et Teddy Lussi-Modeste est la création du premier valet de chambre du roi, La Borde. Fil rouge du récit et témoin privilégié de la relation d’amour profond entre Jeanne et Louis, il devient progressivement le rôle payant du film. Benjamin Lavernhe lui apporte sa subtilité flegmatique et une émotion tapie sous l’uniforme. Il est aussi à l’image du flair de la réalisatrice sur le choix de ses interprètes, des pointures (Pierre Richard) aux espoirs (Suzanne de Baecque, Capucine Valmary), et dans le mélange des genres, du romanesque à la farce (les princesses héritées du conte Cendrillon). Du soin global apporté à l’esthétique émergent aussi des plans marquants, parfois furtifs, comme les séances de lecture de Jeanne enfant dans un immense hall orné d’une tenture.
Et puis, il y a le goût de la transmission de Jeanne, restée sans enfants. Enfin, celui que Maïwenn lui confère, car tous les biographes et spécialistes ne la décrivent pas ainsi. L’idéalisme de la cinéaste peut supplanter la vérité historique en l’enjolivant. Elle célèbre la femme éprise d’élévation et de liberté par l’enrichissement culturel, et par l’éducation de ses fils de substitution, celui de son amant puis mari, et son jeune page noir Zamor. Or ce dernier la dénoncera plus tard au Comité de salut public, avant qu’elle ne soit jugée puis guillotinée en 1793, comme énoncé rapidement en fin de film. En écho à cette liberté artistique sur la transmission, la réalisatrice invite son propre fils, Diego Le Fur, en dauphin, futur Louis XVI. La boucle est bouclée dans la fresque rêvée par Maïwenn, et la du Barry aura brillé une nouvelle fois à l’écran.