Pedro Almodovar donne à Antonio Banderas le rôle de sa vie : le sien.
Lorsqu’on pose à Pedro Almodovar la question : « Est-ce un film sur votre vie ? », il résume d’une formule aussi lapidaire que profonde : « Non et oui, absolument ». On entend dire que Douleur et Gloire serait pour lui ce que Huit et demi fut pour Fellini. On prédit que sa fidélité au Festival de Cannes, où il est en compétition, serait enfin récompensée par une Palme d’or. On dit ce que l’on veut. Ce qu’on entreprend, c’est un bouleversant voyage intime, un voyage conjuratoire et résilient, illuminé par une indéfectible confiance dans le pouvoir du cinéma.
Salvador Malo (gracieux anagramme), est un réalisateur en perte de confiance, de santé, de projets. La gloire qui fut la sienne le fuit, la douleur a envahi son corps vigoureux. Il flotte dans sa vie désormais, comme on le voit au début, en apnée dans une piscine. Ce double investi d’une intense et douce mélancolie est incarné – c’est le mot – par Antonio Banderas, compagnon, complice de plus de trente-cinq ans, sept films ensemble depuis Le Labyrinthe des passions en 1982. Visage las, barbe grise, voici donc Salvador à la saison des retrouvailles. Elles sont orageuses avec un de ses comédiens, jadis humilié. Mais l’heure est au solde des conflits. Salvador invite donc Alberto (Asier Etxeandia), d’abord réticent puis désarmé, à l’accompagner pour présenter à la Cinémathèque de Madrid un de ses anciens succès aujourd’hui restauré. Retrouvailles aussi, peut-être fantasmées, avec un de ses amants d’autrefois (Leonardo Sbaraglia). Étreintes brisées…
Mais comme la chaleur inattendue d’un soleil évanoui, comme un inéluctable au revoir aussi, il y aura un baiser. Un magnifique baiser abolissant le temps passé, le temps perdu. Sans résistance, sans effraction, on est donc entrés dans le flottement temporel des souvenirs de Salvador Malo. Et forcément, ils le ramènent vers l’enfance. Quittant le chevet de sa mère au bord du grand voyage (Julieta Serrano), il la revoit si jeune, si belle et aimante (c’est la chère « chica » Penelope Cruz), et il se revoit petit garçon. Les premiers films dans cette salle « qui sentait la pisse et le jasmin », les premiers désirs aussi, éveillés par la nudité entrevue d’un bel ouvrier… Au long (qui paraît court) de Douleur et Gloire, on n’aura pas lâché une seconde la main de Salvador Malo, on aura aimé chaque seconde de ce que Pedro Almodovar nous a livré de lui, enfin, d’eux. Jusqu’à ce dernier plan, furtif et essentiel, qui vous prend par surprise et vous fait monter les larmes aux yeux. Plus simple, plus émouvant et plus consolateur, on ne voit pas.