Un des premiers longs-métrages phares de l’édition cannoise 2018. Un trajet aride qui suit un garçon accro aux vagues extrêmes de la vie. Un grand cri d‘amour étouffé. Et la révélation d’un réalisateur et d’un acteur. Entre détermination et fragilité.
Il aura fallu plus de vingt ans à Camille Vidal-Naquet pour passer du court au long. Génie d’Arthur Rimbaud, Backstage, Mauvaise Tête, les titres de ses courts pourraient très bien s’appliquer à Sauvage. À sa rudesse. À son goût pour l’envers du décor. À sa non-amabilité. Le réalisateur creuse son sillon. Celui de filmer les marges. Les chemins de traverse. La balade existentielle de son jeune héros sans prénom brille par son âpreté. Le film colle aux basques de son personnage emblème, sans gloire. Un p’tit mec qui tapine, squatte, fume, gobe, sniffe et brûle les ailes de sa jeunesse. Le cinéaste évite les fioritures, saisit frontalement l’enjeu de ses scènes, leur violence, leur crudité, sans pourtant tout montrer à l’image, et en optant parfois pour l’ellipse (la passe avec le « pianiste »), qui tend au maximum le nerf de ce portrait sans fard.
Avec un sens aigu de la captation du réel reconstitué, tout comme celui de la puissance de la suggestion, il entraîne le spectateur dans la spirale végétative d’un être, présenté initialement dans un jeu de rôle avec un client, et laissé finalement à lui-même en position fœtale dans la nature. Drôle d’animal, qui glisse avec indolence vers les précipices, mais avec de vrais sursauts d’ouverture à la tendresse, de laisser-aller bienfaiteur avec une doctoresse, à l’échappée ultime, ouverte à on ne sait quoi du destin. L’attente d’un présent autre, incertain.
Secondé vaillamment par Éric Bernard, qui incarne la décision et la solidité, Félix Maritaud est la révélation centrale de l’aventure. Le jeune acteur, vu l’an dernier dans 120 battements par minute de Robin Campillo et dans le court Les Îles de Yann Gonzalez, retrouve ce dernier en 2018 aussi dans son deuxième long Un couteau dans le cœur. Quatre films au total, qui auront brillé deux années consécutives sur la Croisette, entre la Compétition officielle et la Semaine de la Critique. Mais cette fois, il porte un film de bout en bout, et capte entièrement l’attention d’un cinéaste. Présenté en section compétitive à la Semaine de la Critique en ce mois de mai, Sauvage lance définitivement Félix comme promesse à suivre, fragile et brute à la fois. En attendant la sortie en salle au mois d’août.