Le cinéaste et plasticien Clément Cogitore signe un documentaire d’une puissance visuelle et sonore inouïe : Braguino, western existentiel et conte sur l’enfance, est un film touché par la grâce.
Ce sont des images et des sons qui vous habitent longtemps après leur découverte. Dans Braguino, métrage de 50 minutes tourné dans la taïga en Sibérie orientale, à l’écart de toute civilisation, le réalisateur de Ni le ciel ni la terre part à la rencontre d’une famille de vieux-croyants, les Braguine, qui vivent en autarcie, au cœur d’une forêt, entourés de bêtes sauvages. Au milieu de leur village : une barrière. De l’autre côté, une autre branche de leur famille, les Kiline, avec lesquels les Braguine sont en rupture, vivent selon d’autres critères, moins soucieux du respect de l’écosystème alentour.
Clément Cogitore dessine la géographie de ce conflit ancestral, proche de ceux des grands mythes fondateurs, et place en son sein une communauté d’enfants qui vivent, livrés à eux-mêmes et à leurs jeux, sur une île du fleuve, une partie de la journée. Leur blondeur et l’intensité de leurs regards nimbent ce récit d’une grâce rarement observée au cinéma. C’est la part solaire du film qui, aussitôt qu’elle apparaît, laisse place à son pendant ombragé ou brumeux. Car tout ce qui se joue à Braguino est menacé d’extinction : le danger rôde – les ours sont présents, les affrontements avec la famille ennemie sont brutaux -, et l’utopie rêvée par le patriarche Sacha Braguine pour les siens a atteint ses limites. Braguino avance ainsi, entre enchantement et inquiétude, traversé par une tension qui va crescendo et qui lui confère des allures de western crépusculaire.
Clément Cogitore filme la fin d’un monde, et dessine, dans le même temps, l’une des plus belles professions de foi qui soient dans les pouvoirs du cinéma. Chaque image est chargée d’une puissance évocatrice sidérante. Braguino fait valser l’obscurité avec la lumière. Le spectre de nos peurs vient s’inscrire dans la matière même des images et des sons qui sollicitent le spectateur de manière immédiate. Une force mystérieuse vient ici puiser sa source dans l’inconscient collectif et offre à ce film une portée universelle d’une vaste et très belle ampleur.