Deux ans après la découverte de Hafsia Herzi cinéaste, la voici de retour aux manettes d’un portrait bouleversant et généreux, hommage aux mères, aux femmes et à Marseille.
Bonne Mère, c’est le surnom de la basilique Notre-Dame-de-la-Garde, qui domine et protège Marseille, face à la mer Méditerranée. Enfant de la cité phocéenne, Hafsia Herzi a baptisé sa société de production Les Films de la Bonne Mère, quand elle a autoproduit son premier long-métrage Tu mérites un amour, découvert à la Semaine de la Critique. Bonne Mère, c’est aujourd’hui le titre de son second opus, celui qu’elle a commencé à écrire en 2007 et qui devait initialement être son premier. Un titre hommage au personnage central, Nora, inspiré de sa propre génitrice, et symbole de toutes celles qui offrent leur vie aux autres, à commencer par leurs enfants, sur les traces de la Bonne Mère originelle, la Vierge Marie. En partant d’une petite histoire, celle de cette femme simple, la réalisatrice ouvre grand les bras de son récit à la générosité dont fait preuve son héroïne, pour accueillir la bienveillance du monde. Car le film, sélectionné à Cannes dans la section Un Certain Regard, déborde d’un altruisme poignant.
Avec une finesse et un soin dans la description des êtres et de ce qui les relie, la cinéaste capte l’humanité profonde qui fait tenir notre planète. L’humilité des sentiments simples. Le goût du populaire. Elle confirme aussi son sens de l’inclusion et des destinées portées par les groupes, en ne filmant cette fois que les autres. Famille, voisinage, collègues, employeurs, la chaîne humaine vibre et veille au grain, quel que soit le profil des personnalités. On retrouve aussi ce sens latin et méditerranéen de la vie en communauté et du partage, comme dans les univers que l’auteure chérit, de Marcel Pagnol à la comédie italienne. Pour faire vivre cette crèche vivante sont réunis devant sa caméra des non-professionnels (hormis deux ou trois actrices, dont Sophie Garagnon, ici en mère maquerelle, après avoir été la libertine de Tu mérites…), en qui l’instinct d’Hafsia Herzi décèle le potentiel interprétatif et la cinégénie. La famille constituée est épatante d’énergie et de mélancolie. En coulisses, la chef d’équipe est restée fidèle à sa garde rapprochée du premier long : Jérémie Attard à l’image, Guilhem Domercq au son, et Alexandra Maïo à l’assistanat réalisation.
Tout cette chaîne s’est donc réunie autour d’un visage, celui de Halima Benhamed, incroyable découverte, à la bonhomie magnétique. Dans la peau de Nora, elle transmet l’indicible attachement à l’autre, sans chercher à séduire, car nouvelle venue devant l’objectif. Entourée d’un élan de jeunesse communicatif, qui raconte l’énergie comme la fatigue, elle transcende sans crier gare ce récit vers l’universalité. Tout comme Hafsia Herzi, qui, sans jouer des gros bras, installe sa mise en scène. Assurée, elle précise son sens aigu de l’observation. Son aisance aussi pour raconter beaucoup par les petits riens, les gestes, les regards, d’une maman à ses enfants, d’une grand-mère à son petit-fils, d’une femme à son attachante vieille employée. Une véracité enfin, dans le filmage de l’intérieur d’espaces délaissés et méconnus de la société, ici les quartiers nord marseillais où elle a grandi, et où, en quelques plans, elle raconte tout, jusqu’à l’achat au petit matin d’un peu de drogue pour l’aîné incarcéré. Un océan humaniste vibre dans cette œuvre, qui fait chavirer l’âme et embue les yeux.