

Dans le quartier Chinatown de New York, l’amitié joyeuse de masseuses, leurs amours clandestines, et la vie/la mort qui leur jouent des tours. Ce premier long-métrage est un mélo sublime et délicat.
La grâce. C’est le mot qui vient aux lèvres et au cœur devant ce premier long-métrage présenté (et primé) à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2024. Malgré la dureté des jours, la rudesse des clients, les à-côtés qu’elles concèdent. Malgré le déracinement, l’éloignement des proches, tout n’est que grâce dans les mouvements et les gestes de Didi (Haipeng Xu), Amy (Wu Ke-Xi) et leurs collègues. Ces jeunes femmes chinoises et taïwanaises travaillent dans un salon de massage de Flushing, quartier du Queens à New York. On a d’ailleurs peine à croire qu’on est aux États-Unis tant, dans un premier temps, le salon et les dortoirs attenant forment un lieu clos, où vont et viennent des hommes parlant anglais, mais avec des accents divers. Et où se déploie la mise en scène élégante de Constance Tsang, tout en volutes aériennes, en rideaux flottants, en déplacements légers, pour dire la famille recréée, le cocon nécessaire, la douleur de l’exil qu’on cache sous des plaisanteries. Et l’argent, passeport nécessaire pour envisager une vie ailleurs : à Baltimore, par exemple.
Une affichette apposée sur la porte vitrée annonce : « No sexual services ». Et pourtant, après quelques mots feutrés viennent les caresses discrètes : les mains expertes des jeunes femmes passent parfois sous la serviette de ces mâles qui les rémunèrent en plus. Car Didi a un secret. Et un rêve à accomplir. Elle a aussi un amant sérieux, Cheung (l’émouvant Lee Kang-sheng, acteur fétiche du grand Tsaï Ming-Liang depuis son premier film, Les Rebelles du dieu neon, en1998). Un homme qui l’emmène au restaurant et fait attention à elle. Marié à une femme restée à Taïwan, certes, mais si doux.
La violence s’invite dans ce portrait d’exilés qui cherchent une porte de sortie et tout s’effondre. Amy restée seule perd pied, et quand Cheung revient au salon de massage, quelque chose se noue qui n’est pas tout à fait ce qu’elle souhaite. Comme si, toujours, il lui fallait vivre à travers Didi et non pour elle. Deuil impossible, liens invisibles et, nichée au cœur de ce mélodrame bouleversant, la force des faibles. Beauté absolue, émotion totale.
Isabelle Danel