Stephan Komandarev est un cinéaste bulgare confirmé, ayant signé une dizaine de films à ce jour. Il reste méconnu en France, où peu de ses longs-métrages sont sortis (The World is Big, 2010 ; Taxi Sofia 2017). Avec sa maîtrise implacable, Blaga’s Lessons changera peut-être la donne.
Blaga est une femme de principes. Elle ne tolère aucune erreur, que ce soit dans le parler bulgare, qu’elle enseigne à de jeunes femmes, mais aussi dans sa propre vie. Alors que son mari est récemment décédé, elle a soigneusement économisé afin de lui offrir des funérailles dignes de son nom. Son monde s’effondre lorsqu’elle devient victime d’une escroquerie par téléphone et perd tout ce qu’elle possède. Si cette idée du personnage déchu et confronté à lui-même nous est assez familière, Stephan Komandarev lui donne ici une trajectoire intrigante et inattendue. Afin de s’en sortir, elle s’implique elle-même dans de nouvelles arnaques. Le cinéaste remet en question la moralité et la pureté inébranlables de cette femme dans une mise en scène tendue et haletante. Dans une séquence où Blaga regarde des personnes âgées passer devant sa fenêtre, elle est terrifiante. Ces plans vampiriques montrent une femme qui a repris le contrôle de la situation. La victime est devenue bourreau.
La transformation de Blaga ne vient pas de nulle part et le film s’attache à dépeindre une société bulgare chancelante. Si la police est incapable d’aider les victimes, les politiciens n’apportent pas non plus de solution. Pire encore, ils exploitent la situation dans des coups de com’ invraisemblables. Même le salarié des pompes funèbres a délaissé toute compassion. Alors que cette femme a désespérément besoin d’aide, les personnages qu’elle rencontre ne sont qu’égoïsme et cupidité. Blaga’s Lessons pointe du doigt un pays aveugle aux souffrances des personnes les plus vulnérables. Si le système bulgare est directement dénoncé, il est aussi facile d’y voir des résonances avec d’autres pays et le film nous invite plus généralement à reconsidérer le traitement des personnes âgées, à l’heure où tout un système semble leur tourner le dos.
Eli Skocheva livre une performance captivante en campant ce personnage rigide, mais tenace. Quand elle gravit les interminables marches d’une colline où trône le mémorial de la ville, elle donne l’impression de porter le poids du monde sur ses épaules. Son regard est empli d’une détermination sans faille. Elle paraît pouvoir surmonter n’importe quelle épreuve, peu importe son âge. Pour l’actrice, le film de Stephan Komandarev marque son retour sur grand écran après plus de trente ans sans jouer au cinéma. En incarnant cette femme forte, déterminée à reprendre en main son destin, Blaga’s Lessons peut aussi se lire comme une métaphore de la carrière de son actrice principale, dans un discours réflexif passionnant.