Un documentaire vif sur une figure du militantisme underground. Au pays du football et de la samba, gangrené par un poison politique, cette femme pas comme les autres crie sa force, sa différence. Les contre-pouvoirs veillent, et face au machisme tropical, les Queer sont reines.
Encore méconnue en France, Linn da Quebrada est une nouvelle icône du paysage alternatif brésilien. Chanteuse militante d’à peine trente ans, elle défend son identité de femme dans un corps d’homme, faisant exploser les codes des genres normés. Elle met en avant son identité propre dans une nation aux mains d’une droite extrême, s’appuyant sur l’ostracisation à outrance, avec son chapelet de racisme, misogynie, homophobie, transphobie, violence, et d’intolérance généralisée. Sa présence est politique. Sa musique, ses mots, sa prise de parole scénique s’épanouissent dans des shows libertaires et transgressifs. C’est cette histoire en marche que le duo de cinéastes Claudia Priscilla/Kiko Goifman a choisi de filmer. Un portrait documentaire élaboré dès ses prémices avec l’intéressée, créditée au générique comme coscénariste. Avec, au final, une belle moisson dont, en 2018, le prix du meilleur documentaire aux Teddy à Berlin et au Festival Biarritz Amérique Latine.
Une véracité sans fard transpire de l’écran. Une crudité revendiquée, simple et vivace. Le corps de l’héroïne est au centre du film, dont le titre peut être traduit par « Trav Tapette » ou « Pédale travestie ». Un manifeste pour cet électron libre et étendard de la minorité sexuelle et ethnique de ce territoire géant du continent sud-américain. Issues de la classe populaire, Linn da Quebrada – jeu de mots associés entre diminutif (Linn), belle (linda) et zone périphérique dangereuse (quebrada, dérivé de l’adjectif signifiant « cassée ») -, et son acolyte Jup do Bairro (« Jup(e) du quartier ») – qui se définit comme artiste noire, grosse, pauvre et trans -, malmènent les lignes et combattent le machisme triomphant de l’ère Bolsonaro. Linn se donne ici à voir en show comme en images intimes, d’une douche confondante avec sa mère, à des vidéos de smartphone durant son hospitalisation. Car ce corps activiste fin et musclé a traversé un cancer des testicules et une chimio, dont il porte les stigmates.
En faisant confiance aux réalisateurs, ni noirs ni transgenres, la « trublionne » valide ceux-là mêmes qui ont déjà cosigné le documentaire Olhe pra mim de novo (2012), portrait de l’homme trans Silvyio Luccio, et qui s’intéressent séparément aux marges, quand elle a déjà été à l’affiche d’un autre docu au titre sans appel : Meu corpo é politico d’Alice Riff (2017). Avec finesse, Priscilla et Goifman imbriquent le présent au passé, formant une mosaïque pleine de sens, loin des paillettes, autour d’un nerf puissant. Il s’agit bien de discours, de pensée, et d’action. Linn est rock’n’roll. Linn est punk. Linn est libre.