À sa sortie en 2016, Suicide Squad fait sauter le box-office, mais laisse les fans sur leur faim. Les critiques pleuvent, assassines, sur la réalisation en dents de scie, un Jared Leto trop méthodique, des personnages secondaires manquant de relief, un scénario tronqué par des ellipses sauvages et des effets spéciaux iniques. Seule rescapée de ce champ de ruines, telle une fleur sauvage s’échappant du flot ordurier à peine vêtue d’un itsy-bitsy mini-short imposé par le réalisateur David Ayer, Margot Robbie se glisse dans la peau de Harley Quinn, une psychiatre sage tombée follement amoureuse du Joker. Comme touchée par la grâce, l’actrice australienne offre une interprétation spectaculaire de l’un des personnages les plus populaires – et les plus rentables – de DC Comics.
Avant même que résonne le clap de fin de Suicide Squad, Margot Robbie prend le risque de pitcher aux pontes du Studio Warner Bros l’idée folle de Birds of Prey, un spin-off ultra-féminin de Suicide Squad et inspiré du DC Comics du même nom. Elle s’impose comme productrice et s’implique pleinement dans le projet, en insistant d’emblée pour que sa réalisation soit portée par une femme. C’est la réalisatrice Cathy Yan, ancienne reporter passée par plusieurs courts-métrages, qui convainc par sa vision déjantée et précise. Sa comédie dramatique Dead Pigs fait d’ailleurs l’unanimité à Sundance en 2018.
Birds of Prey affiche un ton irrévérencieux, proche de celui de Deadpool, dans une ambiance totalement survoltée et un feu d’artifice de couleurs et de paillettes. On suit avec délectation et gourmandise l’histoire d’une Harley Quinn au cœur brisé qui noie son chagrin dans l’alcool, la violence et les sandwiches œuf-bacon typiquement new-yorkais.
Le scénario, signé Christina Hodson, spécialiste du thriller féminin, réunit pour la première fois à l’écran les personnages de Black Canary (Jurnee Smollett-Bell), Huntress (Mary Elizabeth Winstead), Renée Montoya (Rosie Perez) et Cassandra Cain (Ella Jay Basco). Chacune déroule sa back-story au rythme syncopé et 100 % jubilatoire de flash-back erratiques. La narration est, elle aussi, le reflet du mental cyclonique de la Miss Quinn, qui brise le 4e mur avec allégresse. Une histoire de diamant volé vient tordre le cou au cliché de la material girl.
Bye bye Joker, donc, et bienvenue aux cinq étapes du deuil version badass déjantées, puisque chacune des protagonistes a une revanche à prendre sur la vie (et sur les hommes). Elisabeth Kubler-Ross serait fière. Moins que la « fantabuleuse » histoire de Harley Quinn, on assiste à la naissance des Birds en tant que formation. Mi-clown, mi-punk, Margot Robbie trouve à s’épanouir pleinement, dans un short cette fois à sa taille, face à une poignée de vilains qui en veulent à sa vie, parmi lesquels le super-vilain Roman Sionis slash Black Mask, interprété par un Ewan McGregor souvent truculent, au bord de la crise de nerfs et de l’hystérie botoxée, et le trop souvent sous-employé Chris Messina dans le rôle ingrat de Victor Zsasz, son comparse.
Birds of Prey, irrévérencieux au possible, brise joyeusement les codes de l’univers DC tout en leur accordant un immense respect, du cadrage et des effets spéciaux au montage impeccable, signé Evan Schiff, qu’on trouvait au générique des deux derniers John Wick. Et si l’hommage aux diamonds de la best friend Marilyn, malgré ses accents Baz Luhrmaniens, ne parvient pas à mettre le feu aux poudres, la séquence dans le parc d’attractions, toile de fond classique des comics, est sublimée, elle, par l’ingéniosité de la mise en scène.
Un vrai regret : la traduction intégrée, en VO, des textes incrustés à l’écran plutôt que dans les sous-titres, qui prive le spectateur de quelques bons mots. Un bémol de taille : la bande-son inégale, ultra-féminine, qui cherche à ratisser large et surfe trop souvent sur une urban pop auto-tunée fatigante, malgré quelques titres parfaitement à leur place, comme Heads Will Roll des Yeah Yeah Yeahs ou It’s Oh So Quiet version Lucy Woodward. Mais Birds of Prey, dans son ensemble, tient sa promesse, et se voit comme un hymne féministe, inclusif, sans pour autant se prendre au sérieux. Dans ce Man’s World sauvagement patriarcal, démonté sauvagement par les oiselles badass (probablement mot de l’année 2020), la bromance flirte gaiement avec l’amour inconditionnel et la sororité prend le pouvoir tout en se posant des questions existentielles.
La vengeance étant un plat qui se mange chaud, le film est « rated R » aux US, interdit aux -12 ans en France. Une suite, indépendante à Suicide Squad, est déjà en préparation.