Benedetta

Possession

Elle est le corps du Christ et le corps du désir : Virginie Efira fait l’offrande de son corps à la possession, mystique et érotique, dans Benedetta de Paul Verhoeven. Avec la résurrection cinématographique de cette nonne au XVIIe siècle, le cinéaste néerlandais image un art du grotesque. 

 

Dieu, la nonne et l’amante. Le ménage est à trois dans l’histoire vraie de l’abbesse Benedetta Carlini de Vellano, révélée par l’historienne américaine Judith C. Brown, qui a narré sa vie mystique et sexuelle dans Soeur Benedetta, entre sainte et lesbienne  (Gallimard, 1987).  Son cas a été exhumé des Archives d’État de Florence, qui conservait les transcriptions d’une série d’enquêtes, menées entre 1619 et 1623, sur la religieuse du couvent des Théatines de Pescia. La mise au jour de cette histoire documente la vie sexuelle au sein de l’institution religieuse, à la fois tabou et interdit. L’amour de Dieu ne peut tolérer le péché de chair. Encore moins le sexe saphique, l’absolue et inconvenante luxure. Sœur Benedetta fut condamnée à la prison, enfermée dans une cellule du couvent florentin, où elle est décédée quelque trente-cinq ans plus tard. 

Nonne lesbienne dans l’Italie de la Renaissance, Benedetta n’est pas une figure écartelée entre la religion et le sexe : elle réconcilie la sainte et la putain, dans une communion inattendue. Elle apparaît d’autant plus dérangeante pour l’Église, que son impureté sexuelle se double d’un élan mystique. Ses visions, ses transes, ses stigmates font-ils signe à l‘imposture ? Ou Benedetta est-elle une sainte révélée par les faveurs divines ? L’Église choisit de la diaboliser et de juger ses miracles simulés : des crimes religieux. 

Possédée, extatique, trouble, Benedetta est une figure idéale pour le cinéaste Paul Verhoeven, 82 ans : il prolonge avec ce personnage l’exploration d’un féminin puissant, après Basic Instinct (1992) et Elle (2016). Le récit qui conduit à la chute et à la disgrâce de la nonne lesbienne, dans un affrontement avec les autorités ecclésiastiques, se concentre non pas sur l’Inquisition dont elle fut victime, son sort tragique, mais sur le lesbianisme de la religieuse dans le huis clos nocturne du couvent, qui constitue sa ligne de force narrative. 

Benedetta est un film de sexe, et comment le sexe, in fine, déstabilise une institution. Le cinéaste néerlandais met en scène le corps et son acmé orgasmique. Il filme la nudité de Virginie Efira, qui joue avec une liberté impressionnante la folie de la jouissance et l’accomplissement de la sexualité, simulant un vertige extatique troublant. Sa partenaire Daphné Patakia se déshabille moins, mais la jeune actrice, que l’on avait découverte dans Djam de Tony Gatlif (2017), donne au personnage plus immédiatement viscéral de Benedetta, comme un contrepoint fantasmé : l’une est le corps du plaisir, quand l’autre est l’objet du désir.   

Paul Verhoeven s’applique à un art du grotesque mêlé d’effroi qui glorifie avec outrance la force libératrice et l’excès des amours lesbiennes interdites et subversives de Benedetta – violence, cruauté, perversité en sont aussi les expressions radicales. Le cinéaste ne craint pas de recourir à une imagerie lourde et démonstrative, faisant signe explicite à l’énergie sexuelle, comme quand il fait se dresser un serpent comme une pulsion irrépressible. Du grotesque au ridicule, il n’y a, hélas, jamais loin.